Affaire Mila : fin de l'impunité pour les cyberharceleurs

Affaire Mila : fin de l'impunité pour les cyberharceleurs
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Par Amanda Dubarry et Raphael Mourere

Dans le cadre de l’affaire très médiatisée dite « affaire Mila », le Tribunal correctionnel de Paris a prononcé le 7 juillet 2021, des peines allant de 4 à 6 mois de prison avec sursis contre 11 personnes déclarées coupables de cyberharcèlement à l’encontre d’une adolescente. Plusieurs des prévenus ont en outre été condamnés à verser à la victime la somme de 1500 euros en raison du préjudice moral découlant des actes de harcèlement.

En l’espèce, l’adolescente de 16 ans, Mila avait, dans plusieurs vidéos postées sur Instagram, formulé des critiques véhémentes à l’encontre de la religion musulmane. Ce faisant, elle entendait répondre à des injures la visant sur son orientation sexuelle. Ces vidéos ont déclenché de vives réactions de la part des internautes et l’adolescente a reçu des milliers de message de haine et des menaces de mort, qui ont justifié qu’elle soit placée sous protection policière.

Retour sur cette condamnation très médiatisée en matière de cyberharcèlement.

Vers une fin de l'anonymat pour les cyberharceleurs

Il est désormais acquis que l’internet est un vecteur de prolifération des contenus haineux.

Beaucoup d’individus éprouvant un sentiment d’impunité se livrent en effet à des insultes, des menaces ou d’autres propos exhortant à la haine contre d’autres personnes. Ces comportements peuvent se répéter et s’installer dans la durée, constituant alors l’infraction d’harcèlement.

Un des enjeux de l’affaire Mila est de rappeler que l’anonymat sur internet est une réalité toute relative s’agissant des comportements adoptés par les internautes.

Si le procès intéresse fondamentalement la défense de la liberté d’expression en France, il comporte une dimension capitale en terme de responsabilisation des internautes.

Une réaction institutionnelle au phénomène de cyber harcèlement

Le cyber harcèlement est un phénomène en augmentation. Si toute personne peut être ciblée, les chiffres fournis par l’association e-Enfance mettent en évidence le ciblage particulièrement important des mineurs : un adolescent sur dix a déjà été victime de cyber harcèlement.

La gravité du cyber harcèlement et les proportions que celui-ci prend dans nos sociétés par écho à la prolifération des contenus haineux sur internet, ont conduit l’Etat à adapter le système judiciaire. Le décret n°2020-1444 et la circulaire du 24 novembre 2020 ont ainsi acté la création d’un pôle national de lutte contre la haine en ligne, rattaché au tribunal judiciaire de Paris.

Le pôle a vocation à être saisi pour les affaires les plus graves, compte tenu de leur complexité et du fort trouble public engendré par les faits, pour l’ensemble du territoire national depuis le 1er janvier 2020.

Les critères de saisine du pôle excluent toutefois les infractions dont la commission est cantonnée au cadre familial ou professionnel.

S’agissant des infractions commises par des mineurs, le pôle se limite à faire bénéficier la juridiction du domicile du mineur compétente de ses qualifications au travers d’un appui technique.

En outre, la compétence du pôle demeure globalement concurrente à celle des juridictions dans le ressort desquelles les communications constitutives d’une atteinte à la personne ont été accessibles.

De son côté, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) s’est également saisie de la question. Elle a publié un guide de réaction au harcèlement en ligne de même qu’une page référençant les numéros à contacter et les procédures de signalement à entamer auprès des plateformes de réseaux sociaux en cas de cyber harcèlement.

Qu’en est-il de la loi ?

Afin de réprimer les atteintes aux personnes commises en ligne, le droit pénal prévoit un certain nombre d’infractions sanctionnant des comportements constitutifs de cyber harcèlement.

Les infractions prévues par les textes en matière de cyber harcèlement.

Selon la connotation des attaques, le cyber harcèlement est qualifié soit de moral, soit de sexuel. Il existe ainsi deux infractions réprimant directement le cyber harcèlement.

D’une part, créé par la loi n°2014-873 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes, le délit de cyber harcèlement moral (article 222-33-2-2 CP ) est le fait de tenir des propos ou d’avoir des comportements répétés ayant pour but ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime, en usant d'un service de communication au public en ligne tout support numérique ou électronique.

La répétition des atteintes est entendue de manière extensive par le texte de loi. Des actes réalisés une seule fois par plusieurs personnes chacune, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles suffit à caractériser la répétition. Des atteintes successives à l’encontre d’une même victime par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, ont connaissance de la pluralité des atteintes caractérisent également la répétition. Au cours de l’audience du 22 juin 2021 qui s’est tenue dans le cadre de l’affaire Mila, le procureur s’est notamment appuyé sur cette connaissance pour demander la condamnation des mis en cause.

L’infraction de cyber harcèlement moral est sanctionnée par une peine de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

D’autre part, le délit cyber harcèlement sexuel (article 222-33 III. 6 CP) réprime le fait d'imposer à une personne de façon répétée, par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Une fois encore, l’absence de répétition d’un comportement n’est pas nécessairement exclusive de la commission de l’infraction de cyberharcèlement sexuel. En effet, est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

La commission de l’infraction de cyber harcèlement sexuel est sanctionnée par 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende.

Dans l’affaire Mila, le cyber harcèlement n’est pas le seul chef d’accusation des mis en cause. Certains sont également poursuivis pour menace de mort. Il s’agit d’un comportement grave sanctionné, dès lors qu’il se matérialise par un écrit, une image ou tout autre objet, par une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (article 222-17 CP).

En effet, lorsque les délits de cyber harcèlement ne sont pas constitués, d’autres infractions sont susceptibles de réprimer ces atteintes à la personne intervenant par voie numérique ou électronique : la menace (article 222-17 CP), la diffamation (article 29 de la loi de 1881), l’injure publique (article 33 de la loi de 1881) et non publique (article R621-2 CP).

Néanmoins, si la loi pénale remplit une fonction dissuasive et répressive, elle ne saurait cependant se substituer à l’éducation des mineurs et la sensibilisation des adultes quant au harcèlement en ligne.

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Amanda DUBARRY

Auteur Amanda DUBARRY

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