Par Haas Avocats
Les débats autour du contrôle de l’âge en ligne continuent d’animer la sphère numérique et juridique.Avec la loi SREN du 21 mai 2024, la France a imposé aux éditeurs de sites pornographiques – qu’ils soient établis sur le territoire national ou à l’étranger – la mise en place d’un système fiable de vérification de l’âge, sous le contrôle de l’ARCOM.
Mais selon les conclusions de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) présentées le 18 septembre 2025, cette ambition nationale se heurte à un principe fondamental du droit européen : la libre prestation des services en ligne, garantie par la directive 2000/31/CE “Commerce électronique”.
Depuis la loi du 30 juillet 2020, la France poursuit l’objectif légitime de protéger les mineurs contre l’exposition à des contenus pornographiques.
Le dispositif, renforcé par la loi SREN, permet au juge d’ordonner le blocage ou le déréférencement des sites qui ne respectent pas l’obligation de contrôle de l’âge.
Plusieurs sociétés tchèques exploitant des sites pornographiques ont ainsi reçu des mises en demeure fondées sur l’article 227-24 du Code pénal et l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020, qui interdisent la diffusion de contenus pornographiques susceptibles d’être vus par des mineurs — y compris lorsque l’accès résulte d’une simple déclaration d’âge.
Ces plateformes ont contesté les mises en demeure devant le tribunal judiciaire de Paris et ont saisi le Conseil d’Etat d’un recours en annulation des dispositions françaises en méconnaissance du droit de l’Union.
Elles invoquent le principe du pays d’origine : un État membre ne peut restreindre l’accès à un service de la société de l’information provenant d’un autre État que dans des cas exceptionnels, strictement encadrés par le droit de l’Union.
Le Conseil d’État a sursis à statuer et posé trois questions préjudicielles à la CJUE sur la compatibilité du dispositif français avec la directive « Commerce électronique ».
Pour l’avocat général[1], la vérification de l’âge relève bien du « domaine coordonné » de la directive, c’est-à-dire des règles harmonisées applicables aux prestataires de services en ligne.
Ainsi, un État de destination – comme la France – ne peut imposer ses propres exigences à des prestataires étrangers que s’il démontre que la mesure est nécessaire, proportionnée et ciblée, et qu’il a respecté la procédure de notification prévue à l’article 3 §4 de la directive.
Le fait que la mesure s’appuie sur une incrimination pénale[2] ne change rien : le droit pénal national ne saurait servir de prétexte pour contourner les obligations européennes.
La protection des mineurs est, certes, un objectif d’intérêt général reconnu, mais elle doit être mise en œuvre dans le cadre européen existant, notamment via la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) et le Digital Services Act (DSA), qui prévoient déjà des obligations spécifiques de protection.
La France a tenté de se conformer au droit de l’Union en notifiant son dispositif SREN à la Commission européenne et en adoptant un référentiel ARCOM le 26 février 2025.
Mais Bruxelles reste vigilante : la Commission a émis plusieurs avis critiques pointant un risque d’incompatibilité avec la directive « Commerce électronique » et le DSA.
Les juridictions françaises ont, quant à elles, validé les mises en demeure de l’ARCOM[3], sans pour autant lever les doutes sur la conformité européenne du dispositif.
La future décision de la CJUE sera donc déterminante : elle fixera les contours de la régulation possible des contenus sensibles en ligne et l’équilibre entre protection des mineurs et libre circulation des services numériques dans l’Union.
***
Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] Conclusions av. gén., 18 sept. 2025, aff. Jointes C-188/24 et C-190/24
[2] C. pén., art. 227-24.
[3] TA Paris, 15 avr. 2025, n°2506972/5-4 et TA Paris, 15 oct. 2025, n°2523204/5-3