Par Laurent Goutorbe, Claire Benassar et Théophile Tsimaratos
Si l’œuvre d’art est une notion universelle aisément compréhensible de tous, pouvant être définie comme le résultat de la création esthétique d'un artiste, il reste difficile de l’appréhender juridiquement avec précision.
A cet égard, si la notion est expressément visée par le code général des impôts[1], lequel énumère les différentes catégories de biens susceptibles d’être considérés comme œuvres d’art, le code de la propriété intellectuelle lui préfère le qualificatif d’œuvre de l’esprit.
L’article L112-2 dudit code ne s’est toutefois pas risqué au périlleux exercice de définition de cette notion, et s’est contenté d’établir une liste non exhaustive de ce qu’il considère comme telle. A ce titre, pourront par exemple être qualifiés d’ « œuvre de l’esprit » les livres, les dessins et peintures ou encore les compositions musicales.
Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
L’auteur pourra ainsi bénéficier de la protection du droit d’auteur sur ses œuvres de l’esprit, et ce quels qu’en soient leur genre, leur forme d’expression, leur mérite, ou encore leur destination[2].
En tout état de cause, l’art est un véritable marché économique qui bénéficie d’un régime fiscal particulier, imaginé pour stimuler l’investissement et, par voie de conséquence, la création artistique.
C’est à ce sujet que s’est récemment prononcée la cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 1er juin 2022[3].
La directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, prévoit un régime de TVA allégé applicable à plusieurs transactions impliquant des œuvres de l’esprit[4] :
A cet égard, la cour administrative d’appel de Paris s’est positionnée quant à la question de savoir si les professionnels du marché, comme les galeries d’art, pouvaient bénéficier de ce régime dérogatoire dans la mesure où ils achèteraient des œuvres à leur auteur.
En l’espèce, une galerie d’art française avait acquis des œuvres auprès d’un artiste britannique. Ce dernier, pour faciliter la transaction, a réalisé cette dernière par l’intermédiaire de sa société, laquelle portait son nom.
Afin de réaliser une marge, la galerie d’art avait appliqué le taux de TVA sur la marge tel qu’il est prévu par l’article 278-0 bis du code général des Impôts.
Le régime fiscal applicable lui permet en effet de calculer un taux de TVA réalisé sur le bénéfice à la revente, et non pas sur le chiffre d’affaires général comme il est prévu en droit commun.
Ce régime permet ainsi de bénéficier d’un taux réduit de TVA (5,5%).
Il ne peut toutefois être invoqué que dans la mesure où les biens revendus ont été acquis auprès de particuliers qui ne sont pas assujettis à cette taxe.
La galerie d’art s’est toutefois vu réclamer des sommes par l’administration fiscale pour les motifs suivants :
Aussi, dans l’hypothèse où le vendeur des œuvres serait une société, leur acheteur ne pourrait bénéficier de la remise de TVA. Il devra ainsi s’acquitter du montant total de celle-ci.
La galerie d’art, ainsi sanctionnée, a tenté de contester ces rappels de TVA en développant un argumentaire particulièrement intéressant.
En effet, considérant que les œuvres avaient été acquises auprès d’une société qui portait le nom de leur auteur et dont l’activité était la création artistique, l’appelante estimait que cette société devait être considérée comme l’auteur même des œuvres, et non comme un revendeur.
La cour a ainsi eu à se prononcer sur la question de savoir s’il était possible de considérer, à l’aune du droit fiscal, que l’auteur d’une œuvre puisse être une personne morale.
En affirmant la négative, cette décision de la cour administrative d’appel de Paris est particulièrement bienvenue en ce qu’elle rappelle un principe fondamental du droit d’auteur français : l’auteur d’une œuvre d’art est nécessairement l’artiste personne physique.
En conséquence, la galerie d’art ne pouvait légalement appliquer le régime de la marge à la transaction considérée.
Bien que cette exigence ne soit pas expressément prévue par l’article L111-1 du Code de la Propriété intellectuelle, elle s’en déduit implicitement, notamment au regard des dispositions de l’article L.113-2 al. 3 du même code. Celui-ci consacre effectivement la notion d’œuvre collective, et vient préciser qu’elle peut être la propriété de la personne morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom. Ces dispositions relatives à l’œuvre collective devraient ainsi être comprises comme une exception. D’autant plus si l’on rappelle le critère de l’originalité de l’œuvre, laquelle doit être empreinte de la personnalité de son auteur afin de bénéficier de la protection du droit d’auteur.
Aussi, le droit fiscal reste fidèle à cette approche humaniste de la création, et il convient de prêter une attention particulière à ne pas instrumentaliser le droit fiscal pour lui faire contredire l’objet sur lequel il s’appuie, à savoir le droit d’auteur.
Professionnels du marché de l’art, la vigilance est donc de mise dans l’exercice de votre activité.
****
Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de 25 ans en droit de la propriété intellectuelle et se tient à vos côtés pour https://www.haas-avocats.com/cabinet-avocats-droit-propriete-intellectuelle/dans vos démarches. Pour en savoir plus, contactez-nous ici.
[1] Annexe 3, article 98 A II) du code général des impôts :
« Sont considérées comme œuvres d'art les réalisations ci-après :
1° Tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l'artiste, à l'exclusion des dessins d'architectes, d'ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ou similaires, des articles manufacturés décorés à la main, des toiles peintes pour décors de théâtres, fonds d'ateliers ou usages analogues ;
2° Gravures, estampes et lithographies originales tirées en nombre limité directement en noir ou en couleurs, d'une ou plusieurs planches entièrement exécutées à la main par l'artiste, quelle que soit la technique ou la matière employée, à l'exception de tout procédé mécanique ou photomécanique ;
3° A l'exclusion des articles de bijouterie, d'orfèvrerie et de joaillerie, productions originales de l'art statuaire ou de la sculpture en toutes matières dès lors que les productions sont exécutées entièrement par l'artiste ; fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l'artiste ou ses ayants droit ;
4° Tapisseries et textiles muraux faits à la main, sur la base de cartons originaux fournis par les artistes, à condition qu'il n'existe pas plus de huit exemplaires de chacun d'eux ;
5° Exemplaires uniques de céramique, entièrement exécutés par l'artiste et signés par lui ;
6° Emaux sur cuivre, entièrement exécutés à la main, dans la limite de huit exemplaires numérotés et comportant la signature de l'artiste ou de l'atelier d'art, à l'exclusion des articles de bijouterie, d'orfèvrerie et de joaillerie ;
7° Photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus. »
[2] Article L.112-1 du Code de la propriété intellectuelle
[3] CAA Paris, 2e ch., 1er juin 2022, n° 21PA00400
[4] Article 316