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Une justice appuyée par l’IA ? enjeux et perspectives à la Cour de cassation

Rédigé par Haas Avocats | Jun 20, 2025 9:37:05 AM

Par HAAS Avocats

Le rapport sur l’IA (Intelligence Artificielle), rédigé par un groupe pluridisciplinaire, associant étroitement juristes et scientifiques, avait pour objectif d'identifier les usages potentiels de l'intelligence artificielle au sein de la haute juridiction et de mener une réflexion approfondie sur les interrogations qu'une telle intégration est susceptible de susciter. Cette réflexion s'est déroulée au regard de deux piliers fondamentaux : l'office du juge et le respect des droits humains.

La méthodologie adoptée par le groupe de travail a consisté :

  • dans un premier temps, en un recensement exhaustif des besoins en IA auprès des magistrats et personnels de greffe de la Cour ; puis
  • dans un second temps, les travaux se sont concentrés sur l'identification de grandes familles de cas d'usage.

Les principaux cas d’usage identifiés pour l’IA dans la justice

Le rapport met en exergue plusieurs catégories d'applications potentielles de l’IA :

Justice et IA : comment allier performance technologique et rigueur éthique ?

Le rapport insiste sur la nécessaire conciliation des systèmes d'IA avec les droits fondamentaux. L'intensité de l'impact doit être appréciée en fonction de l'influence de l'IA sur l'acte de juger lui-même et sa proximité avec les décisions susceptibles d'affecter les justiciables.

Toutefois, il est précisé que si le respect du RGPD et du Règlement IA [1] est essentiel et contribue à protéger les droits fondamentaux, il ne suffit pas à garantir un usage vertueux de l'IA.

En effet, de manière plus « globale », une telle utilisation doit préserver la plénitude de l'office du juge et ne pas amoindrir les équilibres fondamentaux du procès équitable.

Dans ce cadre, les principes éthiques devant être pris en considération en complément des impératifs de conformité juridique standards incluent :

  • L'impact sur la fonction de juger.
  • L'impact sur les droits fondamentaux.
  • La transparence et l'éthique des algorithmes. La transparence ou explicabilité des résultats algorithmiques est au cœur de ces principes. Cependant, la transparence ne se limite pas au code informatique mais inclut la documentation de conception, l'explication des arbitrages et la traçabilité de l'exécution.
  • La frugalité des algorithmes.

Un risque majeur identifié est celui des biais, volontaires ou involontaires, des IA, qui peuvent être à l'origine de discriminations, notamment en raison de la nature des données utilisées ou de la manière dont celles-ci sont traitées par l’IA.

Le rapport aborde la classification des systèmes d'IA selon le Règlement IA, notamment la notion de systèmes à haut risque. Les outils de jurimétrie ou d'aide à la rédaction par IA générative pourraient potentiellement relever de cette catégorie, impliquant des obligations de conformité et de gestion des risques accrues.

Outils en place et développements à venir de l’IA à la Cour de cassation

La Cour de cassation dispose déjà d'une expertise et de projets d’IA concrétisés : un outil de pseudonymisation des décisions depuis 2019 et un outil d'orientation automatique des mémoires ampliatifs depuis 2020. Le projet "Divergences" a exploré la détection de divergences d'interprétation et conduit au développement d'algorithmes de titrage automatique et de rapprochement de décisions.

Le groupe de travail identifie des cas d'usage simples pouvant être priorisés pour des développements internes à court ou moyen terme, tels que la structuration et l'enrichissement de documents, l'aide à la vérification des règles de rédaction et normes de saisie, ou encore un moteur de recherche sémantique.

D'autres cas d'usage sont jugés plus complexes et nécessitent un investissement plus substantiel, mais sont pleinement justifiés par les gains attendus et l'état de l'art. Il s'agit notamment de la recherche de connexité matérielle et intellectuelle, la détection de précédents et rapprochements de jurisprudence, les systèmes RAG ou outils conversationnels de recherche documentaire, ainsi que l'aide à la rédaction de rapports, avis et décisions.

Alors que les travaux du groupe pluridisciplinaire démontrent le potentiel incontestable de l’intelligence artificielle pour soutenir l’activité de la Cour de cassation, une interrogation plus fondamentale demeure : quel rôle philosophique l’IA est-elle amenée à jouer dans le système judiciaire ? Faut-il la considérer comme un simple levier technologique, au service de la rationalisation des tâches et de la réduction des délais de traitement (devenus aujourd’hui problématiques dans un contexte de surcharge chronique et de manque de moyens humains) ? Ou bien l’introduction de l’IA engage-t-elle une transformation plus profonde, de la conception même de la justice et du rôle du juge ? A méditer…

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

[1] Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle et modifiant les règlements (CE) n° 300/2008, (UE) n° 167/2013, (UE) n° 168/2013, (UE) 2018/858, (UE) 2018/1139 et (UE) 2019/2144 et les directives 2014/90/UE, (UE) 2016/797 et (UE) 2020/1828 (règlement sur l’intelligence artificielle)