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Un procès pour viol peut-il être tenu à huis clos pour protéger la victime ?

Rédigé par Gérard HAAS | Jun 3, 2020 8:03:46 AM

Par Gérard Haas et Paul Bertucci

L’affaire « Mraović contre Croatie » (requête n°30373/13) mettait en balance deux droits issus de la Convention européenne des droits de l’homme : l’article 8 qui proclame le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale », et l’article 6§1 de la même Convention qui accorde le droit pour toute personne à un procès équitable.

Par cet arrêt rendu en date du 14 mai 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a considéré que dans le cadre d’un procès pour viol, le droit au respect de la vie privée de la victime primait sur le droit du requérant à une audience publique.

1. Les faits

Dans les faits, la victime avait signalé en 2005 une agression sexuelle orchestrée par M. Mraović auprès de la police croate. Ce dernier fut arrêté pour viol, et l’identité de la victime divulguée dans la presse en raison de la notoriété du présumé agresseur.

2. La procédure

Au cours d’une procédure en première instance qui s’était tenue à la demande de la victime, à huis clos, le requérant fut acquitté la même année. Ayant cependant interjeté appel de cette décision, la victime obtint gain de cause en 2008 puisque le requérant fut reconnu coupable de viol et condamné à trois ans d’emprisonnement.

Durant cette procédure d’appel, M. Mraović demanda la tenue d’audiences publiques dans la mesure où cela permettrait un traitement plus objectif de son cas dans les médias. Ce dernier s’estimait en effet lésé, car la victime avait donné plusieurs interviews et suscitait de l’empathie aux yeux de l’opinion publique.

Estimant toutefois qu’un huis clos était nécessaire à la protection de la vie privée de la victime, le juge d’appel rejeta la demande de tenue d’audiences publiques.

Dès lors, le requérant forma un pourvoi devant la Cour suprême croate. Appelée à réexaminer la décision de huis clos, cette même Cour conclut qu’il n’y avait pas eu atteinte aux droits du requérant au regard des différents dispositifs de procédure pénale.

Enfin, alléguant que les juridictions nationales avaient seulement pris en considération la protection de la vie privée de la victime, et ce au détriment de son droit à un procès équitable par le biais d’audiences rendues publiques ; et que les juridictions internes n’avaient pas expliqué pourquoi elles statuaient en huis clos total plutôt que partiel, M. Mraović déposa une requête devant la CEDH le 10 avril 2013.

3. Le problème de droit

Le problème de droit qui se posait dès lors aux juges basés à Strasbourg était le suivant : Le droit au respect de la vie privée d’une victime de viol prime-t-il sur l’intérêt du public de connaître des éléments intimes susceptibles de nuire à cette dernière ?

4. Les règles juridiques applicables

Les juges de la CEDH répondent par la positive à cette question. La Cour estime que la décision des juges nationaux d’ordonner la tenue à huis clos des différents procès n’était pas incompatible avec les droits du requérant, et qu’une telle mesure était nécessaire afin de protéger le droit au respect de la vie privée de la victime.

Les juges motivent cette décision par le fait que des informations portant sur les aspects les plus intimes de la vie de la victime peuvent être divulguées à tout moment du procès pénal, et non pas uniquement lors du contre-interrogatoire mené par la défense du requérant.

Il en découle également qu’un huis clos partiel n’aurait pas suffi à protéger la victime contre tout risque d’être à nouveau humiliée et stigmatisée, notamment si des informations sensibles avaient été divulguées au cours d’un procès public.

Ainsi, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, texte sur lequel s’était fondé le requérant. Elle consacre par la même occasion une certaine primauté de l’article 8 sur l’article 6§1 de la même Convention, en sacralisant d’une certaine manière le droit au respect de la vie privée.

Quid de cette solution au regard du droit positif français ? En principe, les débats sont rendus publics dans la mesure où la justice est rendue « au nom du peuple français », d’où il en résulte que ce dernier est en droit d’assister aux audiences afin de pouvoir vérifier le bon fonctionnement et la bonne exécution de la justice.

Cependant, le Code de procédure pénale offre dans certains cas des exceptions à ce principe de publicité. En effet, l’article 306 alinéa 3 du même Code dispose que « lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ». Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 28 mars 2018 (17-82.644) vient illustrer cette exception.

Par ailleurs, dans un schéma très similaire de celui de M. Mraović qui avait saisi la Cour suprême croate afin de vérifier la légalité des mesures de huis clos lors d’un procès pénal, le Conseil constitutionnel s’est également prononcé sur le sujet et a considéré que ce droit octroyé à une victime de viol n’était pas contraire à la Constitution.

5. La solution

Il résulte en effet de cette décision que le législateur, en permettant à la partie civile victime de tels faits d'exiger le huis clos « a poursuivi un objectif d'intérêt général. D'autre part, cette dérogation au principe de publicité ne s'applique que pour des faits revêtant une particulière gravité et dont la divulgation au cours de débats publics affecterait la vie privée de la victime en ce qu'elle a de plus intime. » (Conseil constitutionnel. 21 mars 2017. 2017-645 QPC)

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