Par Eve Renaud-Chouraqui et Miléna Letinaud
Publiée au journal officiel le 23 décembre 2021, l’ordonnance du 22 décembre 2021 est, pour le moment, restée assez discrète.
Pourtant, ses conséquences pratiques pour les places de marché sont réelles, en matière de protection du consommateur et de pratiques commerciales trompeuses.
Cette ordonnance transpose la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 et relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l'Union en matière de protection des consommateurs[1].
L’ordonnance entrera en vigueur le 28 mai 2022.
Elle témoigne d’une nouvelle étape franchie dans la régulation des marketplaces au niveau européen.
Le règlement P2B (régulant les rapports entre l’opérateur de plateforme en ligne et les marchands vendeurs sur la marketplace) a introduit de nombreuses obligations de transparence.
L’ordonnance du 22 décembre 2021 est dans cette même logique, mais cette fois-ci à destination, non des vendeurs professionnels, mais des consommateurs.
L’ordonnance ouvre le champ à de nouvelles règles accompagnant la transformation numérique, mais aussi à de nouvelles sanctions et à des sanctions plus sévères renforçant l’effectivité de ces règles.
Cet article est l’occasion de faire une présentation des principales modifications induites.
L’ajout de nouvelles définitions
L’ordonnance modifie de nombreuses dispositions du Code de la consommation, en les ajustant à la transformation numérique.
L’article liminaire de ce même code inclura trois nouvelles définitions[2] :
- « Place de marché en ligne », laquelle est définie comme « un service utilisant un logiciel, y compris un site internet, une partie de site internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte, qui permet aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec d'autres professionnels ou consommateurs » ;
- « Opérateur de place de marché en ligne », soit « tout professionnel qui fournit une place de marché en ligne aux consommateurs, au sens du 2° du I de l'article L. 111-7 » ;
- « Pratique commerciale », entendue comme « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un bien, d'un service, ou portant sur des droits et obligations ».
Le renforcement de la transparence aux fins de protection des consommateurs
L’ordonnance ajoute de nouvelles dispositions aux dispositions existantes du code de la consommation afin d’adapter les mesures en vigueur au numérique (notamment concernant les articles L121-1 à 121-4 du code de la consommation).
Sont ajoutées aux informations considérées comme substantielles les éléments suivants :
- La qualité de professionnel ou non du vendeur proposant des produits sur une place de marché (telle que déclarée à l’opérateur) ;
- Si la recherche d’un produit est effectuée via une requête sur mot clé, les informations mises à la disposition du consommateur concernant les principaux paramètres de classement des produits et leur ordre d’importance[3];
- Si le professionnel donne accès à des avis de consommateurs sur les produits, toutes informations permettant d’établir comment le professionnel garantit que les avis publiés émanent de consommateurs ayant effectivement utilisé ou acheté le produit.
Par ailleurs, de nouvelles pratiques commerciales réputées trompeuses voient le jour :
- La fourniture de résultats de requête sans informer de l’existence d’un paiement effectué dans le but d’obtenir un meilleur classement ;
- La revente de billets pour des manifestations (lorsque les billets ont été achetés via un système automatisé permettant de limiter le nombre de billets pouvant être achetés) ;
- L’affirmation selon laquelle les avis proviennent d’utilisateurs ou d’acheteurs réels des produits, alors que l’opérateur n’a pas mis en œuvre des mesures pour le vérifier ;
- La diffusion via une autre personne (morale ou physique) de faux avis ou la modification des avis ou recommandations pour promouvoir des produits.
L’ordonnance prévoit également les conditions dans lesquelles les professionnels peuvent effectuer des annonces de réduction de prix[4].
Celles-ci devront indiquer le prix antérieur pratiqué par le professionnel avant la réduction de prix.
Le prix antérieur s’entend comme le prix le plus bas pratiqué par le professionnel au cours des trente derniers jours précédant l'application de la réduction de prix.
Les dispositions du code de la consommation sont également applicables pour les contrats conclus à distance et hors établissement, concernant :
- La fourniture d’un contrat numérique sans support matériel ;
- La fourniture d’un contrat numérique, en contrepartie duquel le consommateur ne paie pas de prix mais fournit des données à caractère personnel.
Concernant les contrats qui font l’objet d’une obligation de payer pour le consommateur et lorsque ce-dernier souhaite l’exécution du contrat avant la fin du délai de rétractation, la demande devra être expresse. Le professionnel devra demander au consommateur de reconnaître qu’il renonce au droit de rétractation[5].
La volonté de régulation : un alourdissement des sanctions
L’ordonnance durcit des sanctions, notamment en augmentant le quantum de plusieurs infractions :
- Tout manquement aux obligations d'information précontractuelle[6] ;
- Le recours à des clauses abusives d’un professionnel qui dans les contrats proposés ou conclus avec des consommateurs ou des non-professionnels continue de recourir, dans des contrats identiques à ce type de clauses[7] ;
- La présence d’une ou de plusieurs clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs[8] ;
- Tout manquement aux obligations d'information prévues[9] ;
- Tout manquement aux obligations de confirmation du contrat et, le cas échéant, du support choisi par le consommateur[10].
Pour ces infractions les peines encourues étaient de 3 000 euros pour les personnes physiques et de 15 000 euros pour les personnes morales. Avec l’ordonnance, ces sanctions encourues sont portées à hauteur de 15 000 euros pour les personnes physiques et à 75 000 euros pour les personnes morales.
Par ailleurs, l’ordonnance organise, au niveau européen, la coopération entre les autorités nationales de protection des consommateurs.
Les infractions de grande ampleur ou de grande ampleur à l’échelle de l’Union européenne[11] transfrontalières peuvent être sanctionnées par une amende civile de 300 000 euros, dont la montant peut être porté à 4 % du chiffre d'affaires.
De plus, le fait pour un professionnel de continuer à recourir à un contrat contenant des clauses considérées comme abusives (c’est-à-dire, ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif) peut, dans le cadre d’une infraction de grande ampleur, être sanctionné par une amende de 4% du chiffre d’affaires (dont le montant peut être porté à 2 millions d’euros lorsque le chiffre d’affaires n’est pas déterminable).
En dernier lieu, précisons que le non-respect des obligations d’informations précontractuelles, peut être sanctionné par la nullité du contrat conclu à distance et hors établissement.
L’absence de remise du formulaire type relatif au droit de rétractation est un délit, sanctionné par une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 150.000 euros.
La nécessité de se mettre en conformité dès à présent
L’ordonnance entrera en vigueur le 28 mai prochain et son application sera contrôlée par la DGCCRF.
Cela ne laisse que 4 mois pour que les places de marché procèdent à un audit de leurs interfaces, de leurs systèmes de gestion des avis et de la transparence des critères de classement.
Dans ce même délai, elles devront mettre à jour leurs conditions commerciales et s’assurer de la conformité de leurs tunnels de commande.
Il est impératif de lancer dès à présent ces chantiers de mise en conformité, afin de s’assurer d’être prêt pour le 28 mai 2022.
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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département dédié à l’analyse des pratiques anti-concurrentielles et restrictives de concurrence mises en œuvre dans le domaine du digital (analyse d’impact, actions de remédiation, gestion des risques, assistance devant l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF et représentation devant les juridictions judiciaires).
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.
Pour plus d’informations ou des demandes de rendez-vous, contactez-nous ici.
[1] Ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021 transposant la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 et relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l'Union en matière de protection des consommateurs : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044546235
[2] Article 1 de l’ordonnance
[3] Ces informations doivent être dans une rubrique spécifique de l’interface en ligne, directement et aisément accessible à partir de la page sur laquelle les résultats de la requête sont présentés.
[4] Précisons que ces dispositions ne seront pas applicables pour les produits périssables menacés d’altération rapide et aux comparaisons de prix avec d’autres professionnels.
[5] Article 6 de l’ordonnance
[6] Article 4 de l’ordonnance : nouvel article L131-1-1 du Code de la consommation
[7] Article 8 de l’ordonnance : nouvel article L241-1 du Code de la consommation
[8] Article 7de l’ordonnance: Article L241-2 du Code de la consommation
[9] Article 9 de l’ordonnance : Article L242-10 du Code de la consommation
[10] Article 9 de l’ordonnance : Article L242-11 du Code de la consommation
[11] Article 5 de l’ordonnance