Par Frédéric Picard et Charlotte Paillet
Internet a entrainé son lot de problématiques en termes de cyberharcèlement, entre chantages à la webcam, deepfake ou encore revenge porn…
Ce dernier est devenu un véritable phénomène de société, importé des Etats-Unis, dont le développement a été favorisé par l’émergence des réseaux sociaux et la généralisation des selfies.
La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, sanctionne pénalement le revenge porn qui est une pratique consistant dans la publication de contenus pornographiques d’une personne à son insu. Ces contenus peuvent être réalisés avec ou sans l’accord de l’intéressé, mais sont diffusés sans son consentement. Cela inclut aussi bien les photos que les vidéos ou les propos à caractère sexuel tenus à titre privé.
Ainsi avant 2016, face à de telles pratiques, les victimes agissaient en vertu de l’article 9 du Code civil sur le fondement du droit au respect de la vie privée, mais les juridictions n’apportaient pas de réponse pénale. Au contraire, en raison du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, la Cour de cassation considérait que la diffusion de photographies intimes dans un lieu privé n’était pas pénalement sanctionnée à partir du moment où la personne avait consenti à sa prise de vue (Crim, 16 mars 2016 n°15-82.676).
C’est désormais un délit spécifique codifié à l’article 226-2-1 du Code pénal, passible de deux ans d’emprisonnement et de 60.000€ d’amende.
Par l’arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 30 mai 2022, les juges mettent en lumière les préjudices subis par les victimes de revenge porn.
En l’espèce, un jeune homme avait été reconnu coupable d’atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission de l’image d’une personne présentant un caractère sexuel, par un jugement du 27 mai 2021 du tribunal correctionnel de Limoges.
Les vidéos intimes ayant circulé pendant plusieurs mois sur les réseaux sociaux, les juges du fond ont reconnu que ces faits avaient causé un important préjudice moral à la victime, et ont ainsi condamné l’auteur des faits au paiement de 1.300 euros en réparation de son préjudice moral et 300 euros au titre de son préjudice matériel.
La Cour d’appel de Limoges confirme cette décision, mais revoit le montant de la réparation alloué à la hausse.
Pour cela, elle examine plus en profondeur le contexte des faits et motive de façon concrète quelles conséquences ont les faits de revenge porn sur la victime. Elle relève à cet effet que les images et vidéos privées présentant un caractère sexuel avaient été mises en ligne sur Internet, par le biais de sites à caractère pornographique et donc étaient mondialement accessibles. De plus, ces contenus identifiaient explicitement la victime, en précisant son nom, prénom ainsi que sa ville d’origine.
Elle énonce par la suite que, bien que l’auteur des faits prétende ne pas avoir mesuré la portée et les conséquences de ses actes, cela n’affecte en rien l’importance du préjudice moral subi par la victime.
À cela s’ajoutait « la longue et fastidieuse procédure nécessaire » à la victime pour effacer toute traces des vidéos et des éléments d’identification au moyen des moteurs de recherche avec renvoi sur des sites pornographiques.
Par conséquent, la Cour d’appel adapte la somme allouée à titre de réparation « à la véritable dimension du préjudice moral causé » et condamne l’auteur à verser la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral et 2.000 euros au titre des frais engagés dans le cadre de l’instance.
Il est difficile d’obtenir la suppression de contenus sur Internet, et ce d’autant plus lorsqu’ils sont relayés sur différents réseaux.
Pour lutter contre ces contenus, la jurisprudence avait notamment développé le droit à l’oubli lequel a été repris sous le droit à l’effacement par le RGPD (Règlement général pour la protection des données). Si ce droit existe, il convient encore de pouvoir l’exercer correctement.
La procédure dédiée au retrait de ces contenus et le régime de responsabilité sont prévus par la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
En ce qui concerne le régime des responsabilités, la loi met en place :
Pour la procédure de signalement, l’article 6 de cette loi impose aux hébergeurs de mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance », par le biais d’une notification, tout contenu illicite et notamment le contenu sexuellement explicite et non autorisé. En l’absence d’une telle procédure (ce qui pose déjà problème en soi), il conviendra d’adresser un courrier respectant un certain nombre de conditions pour solliciter le retrait du contenu manifestement illicite.
Dans l’hypothèse où le contenu signalé ne serait pas retiré, la victime pourra naturellement saisir le tribunal par la voie d’une procédure accélérée afin que soit ordonné le retrait du contenu litigieux.
Une procédure peut s’avérer longue (plusieurs mois) et difficile pour la victime dont le contenu est toujours en ligne. C’est pourquoi, il pèse une obligation de sérieux sur les hébergeurs à devoir supprimer des contenus particulièrement explicites comme cela peut l’être dans le cadre d’un « revenge porn » sous peine que la victime souffre pendant de longs mois d’une publication qu’elle n’a pas choisie.
Cette décision constitue donc un signal fort puisqu’elle acte de la prise en compte par les juges des difficultés rencontrées par tout un chacun de voir supprimer les contenus de « revenge porn » et sanctionne à juste titre l’auteur des faits litigieux à des montants plus justes pour la victime et par la même plus dissuasifs.
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