La réforme du statut des lanceurs d’alerte

La réforme du statut des lanceurs d’alerte
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Par Frédéric Picard, Charlotte Paillet et Linda Keklik

Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi « Sapin II », le lanceur d’alerte voit son statut renforcé.

La loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte vient en effet transposer en droit français les dispositions de la directive de l’Union européenne du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. Vous pouvez retrouver notre précédent article sur le sujet en cliquant ici.

L’entrée en vigueur de ce nouveau régime est prévue pour la rentrée, à savoir le 1er septembre 2022. Les modalités d’application de certaines mesures seront fixées par la suite par décret.

Cette Loi modifie notamment :

  • la définition de lanceur d’alerte ;
  • les procédures de signalement ;
  • la protection des lanceurs d’alerte ;
  • les sanctions applicables.

L’élargissement de la définition de lanceur d’alerte

Tout d’abord, la définition de lanceur d’alerte a été élargie[1].

En effet, jusqu'ici le lanceur d'alerte devait agir « de manière désintéressée » dans le cadre de sa démarche : cette notion a été remplacée par celle de l’« absence de contrepartie financière directe ». Il est bien évident que la notion « absence de contrepartie financière » est plus stricte que celle de désintéressément qui était plus propice à interprétation et donc à contestation du statut de lanceur d’alerte.

Avant la réforme, le lanceur d’alerte devait également avoir « personnellement connaissance » des faits. Cette condition a été supprimée dans les contextes professionnels.

Le lanceur d'alerte pourra donc désormais signaler des faits qui lui ont été simplement été rapportés. Les ouï-dire vont donc aller bon train. Outre la difficulté de mener des enquêtes internes sur des rumeurs, le spectre des potentiels lanceurs d’alerte se trouve considérablement élargi.

Enfin, les faits dénoncés pourront porter sur « des informations » portant sur un crime, un délit ou des violations du droit, mais aussi sur des « tentatives de dissimulation » de ces violations.

Nous constaterons que la notion de violation « grave et manifeste » n’est pas reprise et se trouverait donc abolie.

En ce qui concerne « les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client », rien ne change. Ils restent exclus du régime de l’alerte.

La procédure de signalement interne ou externe au choix du lanceur d’alerte

La procédure prévue initialement par la loi « Sapin 2 » hiérarchisait les canaux d’alerte : le lanceur d’alerte devait obligatoirement signaler en interne, auprès du supérieur hiérarchique, avant de pouvoir contacter les autorités compétentes externes. En dernier ressort, à défaut de traitement de l’alerte par les autorités, le lanceur d’alerte pouvait procéder à une divulgation publique.

La réforme du statut des lanceurs d'alerte

Cette distinction disparaît avec la nouvelle Loi, qui prévoit désormais que le lanceur d'alerte pourra choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l'autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen[2].

Attention, les saisines vont pleuvoir.

À cet égard, un décret devrait prochainement fixer la liste des autorités compétentes pour recueillir et traiter les alertes externes ainsi que les modalités de traitement de ces alertes (délai, garanties d’indépendance, clôtures etc.).

En cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible, l’alerte pourra directement être rendue publique.

Les lanceurs d'alerte et la divulgation publique

En revanche, dans les autres cas, la divulgation publique ne sera possible qu’en dernier lieu lorsque le lanceur d’alerte a effectué un signalement externe, précédé ou non d’un signalement interne, et si aucune mesure appropriée n’a été prise en réponse aux signalements dans les délais requis ou directement.

Pour les cas où l’alerte porterait atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale, le texte prévoit une interdiction ferme de publication de l’alerte.

Le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte

Axant la protection des lanceurs d’alerte à travers le prisme des données personnelles, la loi prévoit désormais que les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne pourront être divulgués qu’avec son consentement, sauf à l’autorité judiciaire lorsque les personnes chargées du recueil et du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits auprès du juge.

Lanceurs d'alertes et conservation des données

La durée de conservation des données relatives aux signalements est également précisée. Les données ne pourront être conservées que le temps strictement nécessaire et proportionné à leur traitement et à la protection de leurs auteurs, des personnes visées et des tiers mentionnés dans ces signalements, en tenant compte d’éventuelles enquêtes complémentaires[3]. Comme bien souvent en matière de durée de conservation, cela supposera pour la société de fixer elle-même les durées voulues. Elle pourra toujours s’appuyer sur le référentiel existant publié par la CNIL en décembre 2019 et mettre en perspective ce référentiel avec les nouvelles dispositions de la loi de mars 2022.

Lanceurs d'alerte, irresponsabilité et représailles

Outre ces mesures, la loi « Sapin 2 » consacre l’irresponsabilité civile du lanceur d’alerte pour les préjudices que son signalement de bonne foi aura causés[4] en sus de l’irresponsabilité pénale déjà prévue à l’article 122-9 du code pénal.

A ce titre, l’immunité pénale couvre également le lanceur d’alerte lorsqu’il « soustrait, détourne ou recèle les documents ou tout autre support contenant les informations dont il a connaissance de manière licite et qu’il signale ou divulgue dans les conditions définies par la loi »[5]. Ses complices seront aussi protégés par cette immunité.

Enfin, la nouvelle loi insère un nouvel article listant les mesures de représailles prohibées[6] contre les lanceurs d’alerte autres que les salariés et fonctionnaires[7] et étend le bénéfice de la protection aux personnes physiques et aux personnes morales à but non lucratif (syndicats et associations) qui sont en lien avec le lanceur d’alerte : facilitateurs qui aident à effectuer le signalement ou la divulgation, collègues et proches ou encore les entités juridiques contrôlées par le lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel.

Ainsi, ces personnes ne pourront pas faire l’objet de mesures de représailles, ni de menaces ou de tentatives de recourir à ces mesures, pour avoir signalé ou divulgué des informations. Tout acte ou décision pris en méconnaissance de ces dispositions sera considéré nul de plein droit.

Sanctions en cas d’agissements dilatoires envers un lanceur d’alerte

L’amende civile encourue par toute personne physique ou morale, qui agit de manière dilatoire ou abusive contre un lanceur d’alerte en raison des informations signalées ou divulguées a été augmentée et s’élève aujourd’hui à 60 000 €.

Cette amende peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la victime de la procédure dilatoire ou abusive. Les personnes coupables de ces infractions encourent également la peine complémentaire d'affichage ou de diffusion de la décision prononcée[8].

Ce nouveau texte entrant en vigueur au 1er septembre 2022 vient donc définitivement renforcer la protection des lanceurs d’alerte, de telle sorte que sera facilité le travail de ces acteurs clefs, agissant, ne l’oublions pas, au bénéfice de l’intérêt général.

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Le Cabinet HAAS se tient à votre disposition pour vous accompagner et conseiller sur tous types de problématiques que vous êtes susceptibles de rencontrer.

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[1] Article 6 modifié de la loi Sapin 2

[2] Article 8-II modifié de la loi Sapin 2

[3] Article 9 modifié de la loi Sapin 2

[4] Article 10-1 de la loi Sapin 2

[5] Article 122-9 du code pénal

[6] Article 10-1 II de la loi Sapin 2

[7] Article L.1121-2 du code du travail et article L. 135-4 du code général de la fonction publique

[8] Article 13 modifié de la loi Sapin 2

Frédéric PICARD

Auteur Frédéric PICARD

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