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Qu'implique la nouvelle définition de la prise illégale d'intérêts ?

Rédigé par Gérard HAAS | May 16, 2022 5:56:51 AM

Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Margaux Laurent 

La notion de prise illégale d’intérêt dans la fonction publique, jusqu’ici particulièrement extensive puisque fondée sur un « intérêt quelconque », vient d’être modifiée par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021[1], sur la base de la proposition émise par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique dans son rapport pour l’année 2020.

Prévue et réprimée par l’article 432-12 du Code pénal, cette infraction était conçue à l’origine comme un délit-obstacle, visant à prévenir et à réprimer les situations de conflit d’intérêts des personnes exerçant des fonctions publiques, indépendamment de leur motivation et du résultat de leur comportement. Cette infraction a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle dans le sens d’une sévérité accrue par une interprétation extensive de la notion « d’intérêt quelconque » la caractérisant.

Cette situation avait alarmé tant la doctrine que les acteurs publics, qui avaient appelé à une réforme législative afin d’assouplir le cadre de l’article 432-12. Bien que la modification révèle une volonté de préciser l’infraction, il n’est pas assuré qu’elle puisse mettre un terme à l’actuelle sévérité de l’application du texte.

Une interprétation de la prise illégale d'intérêts source de difficultés d’application

L’ancienne rédaction de l’article 432-12 du Code pénal définissait la prise illégale d’intérêts comme « le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement. »

La constitution du délit de prise illégale d’intérêts supposait donc la réunion de quatre éléments :

  • la qualité de l’auteur, qui doit être une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif ;
  • le fait pour cette personne d’exercer un pouvoir de surveillance, de liquidation ou de paiement dans une entreprise ou une opération ;
  • l’existence concomitante d’un intérêt – qualifié de quelconque – dans cette entreprise ou opération ; et
  • une action commise sciemment.

Par son interprétation extensive de « l’intérêt quelconque », la jurisprudence sanctionnait non seulement l’intérêt patrimonial mais aussi moral (familial, professionnel, amical…). Elle considérait également que l’intérêt illicite n’impliquait pas la réalisation d’un profit par l’auteur mais se consommait « par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel ». Enfin, elle n’exigeait pas que l’intérêt soit en contradiction avec celui de la collectivité ou de l’administration dont l’auteur est membre, le délit pouvant donc être caractérisé en l’absence de toute contrariété avec l’intérêt général.

L’élément intentionnel de l’infraction s’amenuisait au fil des décisions de la Chambre criminelle, de sorte que le délit évoluait en une infraction purement matérielle. L’élément moral étant présumé par la seule fonction de l’élu et de sa charge, la responsabilité pénale de ce dernier devenait quasi-automatique.

Face à cela, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique plaidait pour une modification du texte. En effet, les élus et fonctionnaires rencontraient des difficultés pratiques à éviter les situations où la prise illégale d’intérêts était caractérisée. Aussi, l’Autorité relevait qu’« il s’avère que l’application de la règle de droit actuelle s’articule difficilement avec les exigences du statut des élus locaux lorsqu’ils siègent « ès qualité » au sein d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), de sociétés d’économie mixte (SEM) ou de sociétés publiques locales (SPL). »

Une modification législative salvatrice ?

Pour résoudre ces difficultés, les parlementaires ont précisé les contours de l’élément matériel de l’infraction. N’est désormais plus sanctionnée la prise d’un « intérêt quelconque », mais à partir du 23 décembre 2021, la prise d’un intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de l’agent public.

Le juge pénal devra donc, pour caractériser le délit de prise illégale d’intérêts, établir que l’auteur a pris un intérêt de cette nature, qu’il devra également qualifier. La seule circonstance qu’il y ait eu interférence entre les fonctions publiques de l’agent et ses intérêts ne suffira plus pour retenir la qualification.

Cependant, le terme « d’intérêt » étant conservé dans le texte et n’ayant pas fait l’objet d’une définition, cela laisse la possibilité à la notion de rester extensive selon l’interprétation qu’en fera le juge. Il n’est pas utopique de penser que la jurisprudence appliquera le nouvel article 432-12 en considérant que l’interférence entre les intérêts privés d’un agent et l’intérêt public qu’il représente dans le cadre de ses fonctions publiques, implique nécessairement que l’intérêt privé en question ait été de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité.

Par conséquent, que l’intérêt personnel incriminé soit de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de l’agent public ne le distingue pas réellement de l’« intérêt quelconque » qui prévalait jusqu’ici. Il convient également de préciser que la nouvelle rédaction ne règle pas les difficultés liées à l’action des élus représentant leur collectivité au sein d’un organisme extérieur, même de droit public.

Pour conclure, si la loi du 22 décembre 2021 apporte des modifications souhaitables, ces dernières ne sont cependant pas suffisantes pour garantir une sécurité juridique dans le cadre de l’application de l’article 432-12. Dans la mesure où la nouvelle rédaction de cet article a peu de chance de faire évoluer considérablement la jurisprudence du juge pénal, il est recommandé de rester vigilant et d’éviter toute situation susceptible de faire naître un conflit d’intérêts.

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[1] LOI n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire