Quelles sont les limites de l'usage du nom patronymique à titre de marque ?

Quelles sont les limites de l'usage du nom patronymique à titre de marque ?
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Par Laurent Goutorbe et Claire Benassar 

A l’occasion de l’affaire Poilâne[1], la Cour de cassation[2] était d’ores et déjà venue rappeler qu’une société utilisant le nom de son dirigeant en tant que dénomination sociale ne pouvait pas se le voir reprocher, malgré l’existence d’une marque antérieure éponyme.

Et pour cause, l’article L. 713-6 a) ancien prévoyait expressément que l'enregistrement d'une marque ne saurait faire obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, notamment lorsque cette utilisation est le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom patronymique.

Néanmoins, dans la dernière rédaction du code, issue de la transposition en droit interne de la directive n° 2015/2436[3], l’exception d’homonymie ne vise plus spécifiquement l'usage du signe en tant que dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, mais vise tout usage de son nom de famille par une personne physique « dans la vie des affaires » et « conformément aux usages loyaux du commerce ».

C’est dans la continuité de cet élargissement que, dans son arrêt du 7 septembre 2022[4], la Cour de cassation a rejeté l’action en contrefaçon du titulaire de la marque Croizet contre l’utilisation d’un nom patronymique identique en tant que nom de domaine.

Rappel des faites : L’action en contrefaçon du titulaire de la marque Croizet

L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt opposait la société Croizet – titulaire d’une marque française verbale « Croizet » déposée en 1987 et régulièrement renouvelée – à Monsieur Léopold Croizet dont la famille commercialise des alcools sous l’appellation « Pierre Croizet ».

Croizet avait réservé le nom de domaine « croizet.com » en 2000, puis créé la société Croizet Vins Spiritueux Cognac (devenue Maison Pierre Croizet en 2011, puis La Maison des Pierres en 2017, après mises en demeure de la société Croizet) avant de déposer une demande de marque française « Pierre Croizet Cognac », rejetée à la suite d’une opposition formée par la société Croizet.

C’est dans ce contexte que cette dernière avait assigné M. Léopold Croizet et la société La Maison des Pierres, notamment en contrefaçon de marque et transfert de nom de domaine, auprès du TGI de Paris, avant que la cour d’appel de Paris puis la Cour de cassation ne soient successivement saisies du litige.

L’exception d’homonymie conditionnée par la bonne foi du tiers

Si la Cour de cassation rappelle qu’il n’est pas nécessaire de justifier d’une antériorité pour l’usage du nom patronymique, la bonne foi de la personne physique faisant usage du nom patronymique identique ou similaire à la marque précédemment enregistrée est la condition sine qua non pour faire exception au droit de marque.

Dans la décision de la cour d’appel de Paris[5] ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation, les juges avaient rappelé que la bonne foi suppose que le tiers employant son nom patronymique ait pris des précautions pour éviter tout risque de confusion entre les signes.

En l’espèce, il a été retenu que M. Léopold Croizet faisait usage de son nom patronymique de bonne foi, en raison de l’adjonction systématique du prénom Pierre au nom patronymique litigieux et de la fréquente apposition d’un élément figuratif spécifique, évitant tout risque de confusion avec la marque antérieure.

Par conséquent, l'action en contrefaçon du fait de l'usage du nom de domaine a été rejetée.

Enfin, comme il avait été précisé par la Cour dans l’affaire Poilâne, il est à rappeler que la notoriété de la marque antérieure n’est pas nécessairement exclusive de la bonne foi de la personne tierce faisant usage du nom patronymique. Aussi, de façon plus générale, la renommée d’une marque ne saurait faire obstacle à l’usage d’un signe en tant que nom patronymique.

Le périmètre de l’exception d’homonymie

Si l’article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle – dans sa rédaction nouvelle – vise tout usage du nom patronymique par une personne physique, incluant donc notamment l’usage en tant que nom de domaine, c’est toutefois la rédaction antérieure de cet article qui était applicable à la cause.

L’élargissement de l’exception d’homonymie aux noms de domaine

Aussi, l’article L. 713-6 ancien ne prévoyait pas l’usage du nom patronymique comme nom de domaine. A ce titre, la société Croizet soutenait que l’exception d’homonymie se limitait strictement à la dénomination sociale, au nom commercial ou à l’enseigne, et ne saurait trouver à s’appliquer au nom de domaine de M. Léopold Croizet.

Néanmoins, la Cour de cassation est venue souligner que malgré l’application de la version antérieure du texte, l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle doit s'interpréter à la lumière de l'article 6, § 1, de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988, qui dispose que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, de son nom, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

De sorte que si l'article L. 713-6 ancien vise seulement les dénominations sociales, noms commerciaux ou enseignes, « il ne peut en être déduit que l'utilisation du nom de famille dans un nom de domaine en est exclue, s'agissant d'un usage dans la vie des affaires ».

Par conséquent, en dépit de l’application des dispositions en vigueur avant l’ordonnance du 13 novembre 2019, la jurisprudence vient élargir l’exception d’homonymie aux noms de domaine en inscrivant la rédaction ancienne de l’article L. 713-6 du code dans une logique similaire à celle des nouvelles dispositions.

Les tempéraments à l’exception d’homonymie

Les anciennes dispositions prévoyaient un tempérament à l’exception d’homonymie, dans l’hypothèse où l’utilisation de bonne foi du nom patronymique porterait atteinte aux droits du titulaire de la marque, lequel pouvait alors demander que cette utilisation par le tiers soit limitée ou interdite.

A ce titre, est notamment prohibé tout usage du signe litigieux à titre de marque.

Néanmoins, ce tempérament n’a pas été repris par l’ordonnance du 13 novembre 2019 ; aussi, se pose désormais la question de l’interprétation des nouvelles dispositions par la jurisprudence, quant aux tempéraments apportés à l’exception d’homonymie.

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[1] Dans cette affaire, la société Poilâne avait poursuivi la société Julien Poilâne pour contrefaçon de sa marque « Poilâne », laquelle aurait été constituée par l’usage de la dénomination sociale et de l’enseigne « Julien Poilâne »

[2] Cass, Com, 17 mars 2021, n° 18-26.388 et 19-16.688

[3] Ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019

[4] Cass, Com, 7 septembre 2022, n° 21-12.602

[5] CA Paris, 17 novembre 2020, Pôle 5, Chambre 1, n°17/06972

 

Laurent GOUTORBE

Auteur Laurent GOUTORBE

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