Par Gérard Haas, Claire Benassar et Théophile Tsimaratos
Le 23 février 2022, le Gouvernement a déposé un projet de loi devant le Sénat afin de ratifier une ordonnance adoptée le 24 novembre 2021[1] venant finaliser la transposition de la directive européenne n°2019/790[2], dite « DAMUN ».
Si une première ordonnance[3] avait transposé les dispositions de cette directive relatives à la responsabilité des plateformes et celles traitant des auteurs, la ratification de l’ordonnance de novembre 2021 permet ainsi à la France d’achever le processus de transposition de la directive en consacrant certaines exceptions à l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins.
La consécration d’exceptions au droit d’auteur motivées par l’intérêt général
L’exception pédagogique
La directive a pour ambition de limiter la portée du droit d’auteur principalement dans une logique d’intérêt général, en permettant notamment l’utilisation d’extraits d’œuvres protégées dans un cadre d’enseignement et de formation professionnelle.
Ainsi, l’ordonnance de transposition est venue préciser une exception qui était déjà prévue par l’article L.122-5, 3° du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure, à savoir l’exception pédagogique.
L’apport de l’ordonnance[4] se retrouve au 12ème point de cet article L.122-5[5], permettant de se soustraire à l’autorisation préalable de l’auteur pour l’utilisation, y compris transfrontière, d’extraits d’œuvres de tout type sous forme numérique, au moyen d’un environnement sécurisé accessible uniquement aux élèves et aux enseignants.
La fouille de textes et de données[6]
La directive a par ailleurs consacré des exceptions en faveur de la fouille de textes et de données[7], visées par l’article L122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle.
D’une part, elle donne la possibilité à certains établissements de recherche et institutions culturelles de procéder à des fouilles de textes et de données dans un but strictement scientifique, sans que l’auteur de l’œuvre ne puisse s’y opposer.
D’autre part, l’ordonnance permet à toute personne de procéder à des fouilles, quelle que soit leur finalité, sous réserve que l’auteur n’ait pas exprimé son opposition « de manière appropriée ».
Cette exception pourra bénéficier à des entités publiques ou privées, qui auront ainsi la possibilité d’avoir accès à d’importants volumes de données portant sur des œuvres protégées, incluant les logiciels et bases de données qui seront de fait consultables.
La conservation du patrimoine culturel
La directive permet également aux institutions culturelles de numériser et diffuser l’ensemble des œuvres indisponibles[8] dont elles disposent.
L’ordonnance autorise ainsi certains organismes de gestions collectives à concéder des licences d’exploitation aux institutions culturelles.
Parallèlement, il est aussi désormais possible pour les bibliothèques accessibles au public, les musées, les services d'archives ou les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique, audiovisuel ou sonore de représenter et reproduire sans autorisation de l'auteur une œuvre indisponible qui se trouve dans leurs collections à titre permanent, dès lors que cette représentation et cette reproduction ont pour objet de rendre l'œuvre disponible sur un service de communication au public en ligne non commercial et que le nom de l'auteur est clairement indiqué.
Il est toutefois à noter que l'auteur de l’œuvre dispose toujours de la faculté de s'opposer à ce qu'elle soit exploitée dans ces conditions.
L’influence du numérique sur l’apparition de ces exceptions
Le droit d’auteur tel qu’il existait en droit français antérieurement à la directive « DAMUN », bien que permettant de valoriser les œuvres de l’esprit, pouvait faire obstacle à certaines utilisations numériques d’œuvres protégées.
La directive « DAMUN » a à ce titre été imaginée en faveur d’une harmonisation du marché unique numérique. Les derniers textes en la matière étant anciens, la directive « EUCD » ayant notamment été adoptée en 2001[9], l’élaboration de règles communes était indispensable au regard des évolutions numériques majeures intervenues depuis.
La directive « DAMUN » consiste ainsi notamment à largement autoriser les fouilles de contenus numériques, lesquelles pourront constituer un nouveau moyen de dynamiser l’intelligence artificielle. En effet, l’accès à des contenus protégés pourra notamment permettre d’accélérer le « Machine Learning »[10] : plus les données auxquelles l’intelligence artificielle a accès sont quantitativement importantes, plus elle gagnera en vitesse et en efficacité.
En définitive, l’on assiste à l’émergence d’un droit d’auteur, qui, dans la vision européenne, s’adapte à l’intérêt général.
Le législateur européen se place ainsi dans une démarche de compromis, mettant en balance les intérêts des auteurs et cet intérêt général, pour favoriser l’accès au patrimoine culturel et le développement de nouvelles technologies, tout en garantissant le respect des prérogatives des auteurs. Aussi, il n’est que peu étonnant que les textes prévoient encore la possibilité pour les auteurs de s’opposer à certaines des exploitations nouvellement permises par la directive.
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[1] Ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 complétant la transposition de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE
[2] Directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique
[3] Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 portant transposition du 6 de l'article 2 et des articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE
[4] Article 7 – Ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021
[5] Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source et que l’œuvre ait été divulguée, l’auteur ne peut interdire « La représentation ou la reproduction d'extraits d'œuvres à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la formation professionnelle, dans les conditions prévues à l'article L. 122-5-4 »
[6] Exception dite “TDM” (« Text and data mining »)
[7] La fouille de textes et de données consiste en « la mise en œuvre d'une technique d'analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d'en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations » (article L.122-5-3, CPI)
[8] Est indisponible l'œuvre « protégée dont on peut présumer de bonne foi, au terme d'efforts raisonnables d'investigation, qu'elle n'est pas disponible pour le public par le biais des circuits de distribution commerciaux habituels et dont la première publication ou communication au public remonte à trente ans ou plus » (article L.138-1, CPI)
[9] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information
[10] Forme d'intelligence artificielle permettant à un système d'apprendre à partir des données et non à l'aide d'une programmation explicite, lui permettant ainsi d'améliorer ses performances à résoudre des tâches sans être explicitement programmé pour chacune