Par Stéphane Astier et Marie Torelli
L’investissement immobilier est souvent perçu comme inaccessible du fait de sa lourdeur administrative (expertises, notaire…), des risques qui y sont associés (travaux, gestion locative…) et du ticket d’entrée relativement élevé.
Récemment, de nouveaux acteurs sont apparus sur le marché de l’immobilier avec pour objectif de démocratiser ce secteur.
Ainsi, que ce soit sous la forme de royalties, de solutions de financement participatif ou de souscription à des NFTs, tout intéressé peut désormais envisager plusieurs dispositifs innovants quelque fois désignés sous le nom générique « d’immobilier fractionné ».
Définition de l'immobilier fractionné :
Cette appellation décrit un modèle permettant à tout investisseur de percevoir, en contrepartie de son investissement, une partie des revenus susceptibles d’être générés par un bien immobilier, sans pour autant en être propriétaire.
Comme pour tout investissement la prudence est toutefois de rigueur. Certains de ces projets sont en effet sous le coup de critiques, du fait notamment de la difficulté de définir clairement leur cadre juridique ou encore de l’opacité de leur fonctionnement.
On désigne par « tokenisation » ou « immobilier fractionné », l’opération consistant à fractionner un bien immobilier en plusieurs parts et à proposer ces parts à des tiers.
Dans ce modèle, les investisseurs ne sont pas propriétaires d’une partie du bien, mais titulaires d’une partie de sa valeur. Autrement dit, en contrepartie du versement d’une partie du prix du bien, les investisseurs bénéficient d’un droit à percevoir une redevance sur les revenus susceptibles d’être générés par ce bien et ce, au prorata de leur investissement initial.
Exemple de tokenisation de l'immobilier ou de l'immobilier fractionné :
Par exemple, une plateforme propose d’investir dans l’acquisition d’un immeuble situé à Bordeaux. Cet immeuble est valorisé à 1 million d’euros.
« A » investit 100 euros dans l’acquisition du bien. « B », quant à lui, investit 1000 euros dans l’acquisition du même bien.
Grâce aux fonds collectés, la plateforme finalise l’achat du bien immobilier, effectue les travaux et trouve des locataires.
Tous les mois, sous réserve que le bien soit entièrement loué et du nombre d’investisseurs, « A » percevra 0,01% des loyers générés par le bien. « B », quant à lui, percevra 0,1% des même loyers.
Toutefois, ni « A », ni « B » ne seront propriétaires du bien immobilier en question.
Ils détiennent seulement le droit de percevoir des redevances sur les revenus futurs générés par ce bien pendant une certaine durée et au prorata de leur investissement initial.
La tokenisation de l’immobilier est présenté comme offrant trois avantages principaux aux investisseurs.
Premièrement, l’immobilier fractionné rendrait l’investissement plus accessible. En effet, les tickets d’entrée, souvent d’un faible montant (autour de 10 euros), permettraient à tout particulier de diversifier ses sources de revenus.
Deuxièmement, la tokenisation rendrait l’investissement plus liquide. Contrairement à des actions ou des obligations, les NFTs ou les droits à redevance pourraient être facilement échangés sur une marketplace, sans nécessiter d’inscription préalable auprès du greffe du tribunal de commerce.
Enfin, l’immobilier fractionné rendrait l’investissement plus facile. La gestion locative du bien serait déléguée à la plateforme concernée ou à un tiers sélectionné par ses soins. Les investisseurs pourraient ainsi percevoir leurs redevances sans avoir à s’inquiéter de la gestion du bien.
Aujourd’hui, les plateformes souhaitant proposer des projets de tokenisation de l’immobilier s’organisent autour de deux grands modèles.
Les services de financement participatifs sont définis par le règlement dit « PSFP » comme la mise en relation des intérêts d’investisseurs et de porteurs de projets professionnels au moyen d’une plateforme d’intermédiation en ligne fournissant les solutions de financement suivantes :
Le crowdequity (financement par titres financiers) ;
Le crowdlending (financement par prêts).
Les plateformes souhaitant fournir ces services doivent s’enregistrer en qualité de Prestataire de Service de Financement Participatif (PSFP) auprès de l’AMF et présenter à ce titre un certain nombre d’exigences.
Toutefois, le statut de PSFP peut paraître peu adapté aux enjeux spécifiques de l’immobilier fractionné pour deux raisons principales :
L’article 8.2 du règlement PSFP ne permet pas aux opérateurs de plateformes de porter eux-mêmes les projets immobiliers, du fait des conflits d’intérêt qui en résulteraient. Ainsi, seuls les projets portés par des tiers pourraient faire l’objet d’un financement, avec des garanties variables s’agissant de la gestion locative des biens immobiliers en question ;
Les solutions de financement sont limitées aux actions, obligations et valeurs mobilières, lesquelles peuvent s’avérer peu liquides en pratiques.
Le modèle du « revenue-based financing » permettrait d’échapper à une partie des contraintes du financement participatif.
Bien qu’il ne présente aucune définition juridique précise, l’analyse de la pratique permet d’en identifier les grandes lignes.
Une société (foncière) est ainsi créée pour chaque projet immobilier présenté sur la Plateforme. Cette société est chargée de l’achat du bien, mais également de sa gestion pendant toute la durée de l’investissement.
Les investisseurs, quant à eux, souscrivent un contrat avec la société concernée, leur permettant de percevoir une partie des revenus bruts générés par le bien.
Les investisseurs peuvent ensuite céder leur contrat sur la marketplace proposée par la plateforme à tout moment.
La mise en œuvre d’un tel projet nécessite une attention particulière aux nombreuses contraintes légales et réglementaires applicables ; contraintes justifiées par la protection nécessaire des investisseurs et lourdement sanctionnées en cas de non-respect. Les opérateurs de plateformes dédiées à l’immobilier fractionné devront ainsi être particulièrement vigilants et veiller à éviter les trois pièges principaux :
Négliger le cadrage juridique du projet. Le cadrage juridique d’un projet d’immobilier fractionné est une étape préliminaire indispensable car il permettra d’identifier les différents statuts auxquels la plateforme sera soumise en fonction notamment du modèle retenu (financement participatif, revenue-based financing, opérateur de plateforme en ligne, hébergeur/éditeur, responsable du traitement…).
Négliger la rédaction des contrats. Les contrats constituent le socle de la relation entre les différentes parties prenantes. Ils doivent permettre d’encadrer strictement la responsabilité de chacun des acteurs au regard de leurs obligations réciproques, notamment s’agissant du statut d’intermédiaire de l’opérateur de la plateforme.
Ne pas auditer le parcours de souscription des investisseurs. Le parcours de souscription doit faire l’objet d’un audit spécifique au regard non seulement du modèle retenu, mais aussi des dispositions spécifiques du droit de la consommation. Il conviendra notamment de vérifier comment le droit de rétractation est pris en compte et que les informations délivrées aux investisseurs respectent bien les prescriptions des articles L.111-1 et suivants du code de la consommation.
***
Le cabinet HAAS-Avocats, avec son département FINTECH accompagne les acteurs du digital et opérateurs de plateforme dans le cadrage juridique de leurs projets. Pour tous renseignements complémentaires, n’hésitez pas à nous contacter.