Par Anne Charlotte Andrieux et Virgile Servant-Volquin
Le « mensis horribilis » de Facebook n’en finit plus. Après avoir condamné WhatsApp à une amende de 225 millions d’euros en septembre, la DPC Irlandaise (Data Protection Commission), a envoyé un projet de décision à ses homologues européens proposant une amende entre 28 et 36 millions d’euros à l’encontre de Facebook.
Le projet – confidentiel - de décision a été révélé par l’association à l’origine de la plainte, None of Your Business. Max Schrems, activiste de la vie privée sur le web et fondateur de l’association, a révélé les documents sur Internet, suscitant le courroux de la DPC.
Les faits reprochés à Facebook concernent la modification des Conditions générales d’utilisation opérée le 25 mai 2018, jour même de l’entrée en vigueur du RGPD. Cette modification a eu pour conséquence principale de fonder la licéité des divers traitements de données sur la base légale de l’exécution d’un contrat.
Le régulateur irlandais a cherché à savoir :
Les conclusions de la DPC sont les suivantes :
Le cœur de la question réside dans le fait de savoir s’il est possible pour un fournisseur de réseau social comme Facebook de fonder le traitement des données personnelles à des fins de ciblage publicitaire comportemental sur le contrat qu’il conclut avec l’utilisateur du réseau social.
Pour rappel, le RGPD[1] prévoit que chaque traitement de données personnelles doit être fondé sur une des bases légales suivantes pour être licite :
A ce titre, le CEPD a publié en 2019 des lignes directrices concernant l’usage de la base légale du contrat dans les contrats de fourniture de services en ligne. Comme le rappelle la DPC, ces recommandations n’ont pas valeur obligatoire, mais permettent de préciser l’application des dispositions du RGPD aux cas d’espèces.
Il est ainsi rappelé que :
Le CEPD semble donc opposé à ce que la base légale du traitement des données à des fins de ciblage publicitaire soit celle de l’exécution d’un contrat.
Pour la DPC, le ciblage publicitaire personnalisé des utilisateurs de Facebook est une composante essentielle du contrat. Dans le projet de décision, la DPC se livre à un exercice d’interprétation des CGU de Facebook au vu du droit général des contrats, de la jurisprudence européenne, du RGPD ainsi que de certaines parties des recommandations du CEPD pour motiver le fait que Facebook puisse utiliser la base légale du contrat pour cibler ses utilisateurs par de la publicité comportementale.
L’argument principal de la DPC tient à l’appréciation des éléments essentiels du contrat qui lie Facebook à l’utilisateur :
Cette décision interpelle dans la mesure où le CNPD luxembourgeois a sanctionné Amazon à hauteur de 746 millions d’euros. La décision est restée confidentielle, mais la plainte déposée par l’association « La Quadrature du Net » visait également le système de ciblage publicitaire d’Amazon, supposément imposé aux utilisateurs qui utilisent le service.
Le montant restreint de l’amende (0.04% du CA de Facebook) peut donc s’interpréter comme le refus de la DPC de suivre la motivation du CNPD quant à l’interprétation de l’article 6 du RGPD et à la faculté pour les opérateurs de fonder le ciblage publicitaire sur une autre base légale que le consentement.
En application du mécanisme du guichet unique, la DPC a soumis le projet de décision aux autorités nationales également concernées. Ces dernières disposent d’un mois pour exprimer leurs éventuelles objections.
Affaire à suivre.
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[1] Article 6
[2] Article 21, 2° du RGPD
[3] Point 4.27 DPC Case Reference: IN-18-5-5