Par Eve Renaud-Chouraqui
Le 11 octobre 2021[1], l’Autorité de la concurrence a mis à jour son document-cadre relatif aux programmes de conformité au droit de la concurrence.
A quoi servent les programmes de conformité ?
Les programmes de conformité, pratique relevant de la soft law, sont des programmes internes élaborés, mis en œuvre et déployés de manière volontaire par une entreprise afin de justifier de sa démarche et posture de compliance au droit de la concurrence.
Ils permettent une détection en amont des éventuelles infractions au droit de la concurrence et à informer, sensibiliser et former le personnel de l’entreprise aux risques. Au-delà des fonctions de prévention et de détection, ils ont également une fonction de remédiation.
Ces programmes peuvent être établis de manière autonome ou être intégrés dans une politique générale de conformité (intégrant notamment les problématiques liées au RGPD, à la RSE, à la loi Sapin, etc…).
Selon l’Autorité de la concurrence, il est « du devoir des acteurs économiques eux-mêmes, et dans leur intérêt, de prendre toutes les mesures possibles pour conduire leurs activités en conformité avec les règles de concurrence et pour prévenir d’éventuels manquements à ces règles ». Elle ajoute « les entreprises sont au cœur du processus de conformité ».
La première erreur serait de considérer que ces programmes ne concernent que les grandes entreprises et non les PME.
Au sens de la loi, toute entité exerçant une activité économique[2], quelle que soit sa taille, est soumise aux règles de concurrence. Sont donc concernées tant les grandes entreprises, que les plus petites.
Concernant ces-dernières, elles sont souvent moins bien armées dans l’appréhension des règles du droit de la concurrence, ne disposant généralement pas d’un service juridique ou même d’un juriste dédié.
L’intérêt de ces programmes est justement de leur permettre de construire, en concertation avec leur conseil, un cadre permettant de les guider dans leurs activités et dans la mise en œuvre de pratiques sécurisées et conformes au droit de la concurrence.
Notons enfin que les entreprises (au sens commun du terme) ne sont pas les seules concernées. Le sont également les associations professionnelles (associations d’entreprises), lesquelles ont, depuis la transposition de la directive ECN +, vu leur responsabilité financière (et celle de leurs membres) augmentée concernant la conformité au droit de la concurrence.
Selon le document-cadre de l’Autorité de la concurrence, les programmes de conformité doivent s’appuyer sur cinq piliers :
L’entreprise ou l’association d’entreprises, au travers de ses organes de direction et ses mandataires sociaux, doit prendre une position « claire, ferme et publique » sur le respect des règles du droit de la concurrence et sur son soutien au programme de conformité établi.
L’entreprise ou l’association d’entreprises doit désigner des responsables en interne de l’élaboration, la gestion et le suivi du programme de conformité.
Ces responsables doivent, selon l’Autorité de la concurrence :
- « être désignés par les organes de direction et disposer d’une autorité et d’une compétence incontestables au sein de l’entreprise» ;
- « disposer du temps et des pouvoirs nécessaires, ainsi que des moyens humains et financiers suffisants pour assurer la mise en œuvre effective du programme de conformité» ;
- « avoir la capacité d’accéder directement aux organes de direction de l’entrepriseou de l’association d’entreprises».
Les salariés de l’entreprise ou membres de l’association d’entreprises doivent être informés, formés et sensibilisés sur :
- L’existence et les raisons de la mise en œuvre du programme de conformité ;
- Les règles du droit de la concurrence ;
- Les implications de ces règles pour l’entreprise ou l’association d’entreprises dans le cadre de leur activité spécifique ;
- Les mécanismes internes déployés afin d’être conseillés ou alertés sur d’éventuelles infractions au droit de la concurrence.
L’entreprise ou l’association d’entreprises doit mettre en place des mécanismes réels et efficaces de contrôle et d’alerte afin tant de s’assurer du respect du programme de conformité, que des moyens de communication appropriés permettant à toute personne de communiquer avec les personnes en charge du suivi du programme en interne.
La mise en œuvre de tels programmes, conçus sur mesure pour chaque entreprise ou association d’entreprises, nécessite, au-delà de leur conception, de modifier certains documents existants de l’entreprise (charte, règlement intérieur, contrats de travail, etc…).
Le conseil de l’entreprise sera un véritable allié dans cette démarche, connaissant l’entreprise, son activité et son marché intervention. Il dispose de l’expertise afin d’aider dans la rédaction ou mise à jour des documents de l’entreprise.
La création, la mise en œuvre et le suivi de tels programmes nécessitent un investissement de l’entreprise, le tout sur la base d’une démarche purement volontaire.
Cet investissement permet-il d’obtenir des retombées « positives » pour l’entreprise ou le groupement d’entreprises ?
Le premier bénéfice tient dans le fait de disposer d’un outil de gestion de risques permettant de réduire le risque de sanction financière.
Rappelons que les sanctions associées aux infractions au droit de la concurrence sont particulièrement lourdes et peuvent s’élever à 10% du montant du CA HT mondial réalisé par l’entreprise, sans compter les éventuels dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les entreprises victimes des pratiques anti-concurrentielles.
Concernant les associations d’entreprises (associations professionnelles), la transposition en droit français de la directive ECN+ a eu, notamment, pour effet de retirer le plafond de sanction s’élevant à 3 millions d’euros. Désormais, elles sont soumises aux mêmes sanctions que les entreprises.
A ce risque financier, s’ajoute un préjudice d’image et réputationnel découlant du prononcé d’une condamnation, ainsi que le nécessaire coût associé à une procédure judiciaire ou à une procédure devant l’Autorité de la concurrence.
Enfin, les personnes physiques prenant une part personnelle et déterminante dans la conception, la réalisation, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques anti-concurrentielles encourent une peine pouvant aller jusqu’à 4 ans d’emprisonnement et une amende de 75.000 euros.
Le second bénéfice tient dans la prise en considération des programmes de conformité dans le cadre des procédures de clémence et de transaction.
En application du IV de l’article L 464-2 du code de commerce, « une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou une association d’entreprises qui, avec d’autres, a mis en œuvre une pratique prohibée (…) s’il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d’information dont l’Autorité ou l’administration ne disposaient pas antérieurement ».
En application du III de l’article précité, les entreprises ne contestant pas les griefs qui leur sont reprochés par l’Autorité de la concurrence peuvent obtenir une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la fourchette de sanction envisagée. L’entreprise sollicitant le bénéfice de cette procédure peut mettre en avant le programme de conformité et s’engager à le modifier afin de remédier aux problématiques ayant abouti à ce que les dispositifs de détection mis en place n’aient pas pleinement fonctionné.
Les programmes de conformité apparaissent de véritables outils d’auto-régulation des entreprises ou associations d’entreprises concernant l’application des règles du droit de la concurrence.
Mis en œuvre à bon escient, ils peuvent être une formidable arme permettant à l’entreprise de modérer son exposition à une possible sanction par les autorités de concurrence (DGCCRF ou Autorité de la concurrence).
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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département dédié à l’analyse des pratiques anti-concurrentielles et restrictives de concurrence mises en œuvre dans le domaine du digital (analyse d’impact, actions de remédiation, gestion des risques, programmes de conformité, sensibilisation aux risques, assistance devant l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF et représentation devant les juridictions judiciaires).
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.
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[1] Dix ans après son premier document-cadre, daté du 10 février 2012.
[2] Indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de fonctionnement.