Par Kate JARRARD et Lucile DESBORDES
Par un arrêt du 7 janvier 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient préciser de façon très pédagogique, dans le cadre d’une procédure en diffamation contre Le Canard enchaîné, les contours de la bonne foi du journaliste suivant la nouvelle méthode de rédaction de ses arrêts.
Condamné en appel pour avoir publié un article sur l’implication des services secrets français et américains dans un probable coup d’Etat contre le régime du président guinéen Alpha Condé, l’hebdomadaire a finalement obtenu gain de cause.
C’est aussi l’occasion pour la Haute juridiction de clarifier l’offre de preuve en droit de la presse.
La diffamation est l’allégation ou l’imputation d’un fait attentatoire à l’honneur et à la considération d’une ou plusieurs personnes identifiables.
L’une des garanties essentielles de la liberté de la presse réside dans le principe de bonne foi du journaliste, fait justificatif d’origine jurisprudentielle qui lui permet d’échapper à une condamnation.
En l’espèce, Le Canard a publié en 2013 un article relatif à la préparation d’un coup d’État à Conakry notamment fondé sur des notes dites blanches qui auraient été établies par les services secrets.
Extrait du Canard enchaîné, édition du 25 septembre 2013.
Lors du procès, le journaliste n’a pas souhaité divulguer sa source mais a néanmoins tenté de rapporter la preuve de la vérité de ses allégations et de sa bonne foi - exonérations garanties par loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse - par d’autres éléments de recherche sur le sujet et la confiance accordée à sa source.
La cour d’appel de Versailles a pourtant condamné le journal pour diffamation au motif que Le Canard n’a rapporté la preuve ni de la vérité des faits ni de sa bonne foi, le journaliste se bornant « à reprendre à son compte, sans aucun recul, la teneur comme les conclusions des deux notes confidentielles, dont l’origine reste ignorée » (CA Versailles, 5 septembre 2018).
La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt, et en profite pour clarifier les caractères de l’exception de bonne foi, d’origine prétorienne.
La bonne foi du journaliste suppose la démonstration de 4 éléments : l’absence d’animosité personnelle, la légitimité du but poursuivi, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que le sérieux de l’enquête.
Si le juge considère que ces éléments sont réunis, le journaliste pourra se voir exonérer de sa responsabilité.
Néanmoins, lorsque l’une ou l’autre de ces conditions fait défaut, la bonne foi du journaliste peut toujours être invoquée, la Haute cour rappelant que celle-ci ne s’apprécie pas de manière globale (cf. paragraphes 12 à 14) :
En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir conclu au manque de sérieux de l’enquête au seul motif que Le Canard ne révélait pas ses sources.
Or, selon la Cour, il n’est pas possible de se fonder uniquement sur l’absence d’écrit, dû à la protection des sources, pour conclure à l’absence de base factuelle suffisante. Les conseillers versaillais auraient dû davantage analyser et prendre en compte les autres éléments de preuve.
L’intérêt de cet arrêt est double, d’une part, de par la méthodologie adressée aux conseillers d’appel pour apprécier la bonne foi du journaliste, notion mouvante et incertaine, et l’offre de preuve, et d’autre part, car il rappelle que les critères de l’exception de bonne foi s’apprécient au regard de chacune de ses composantes dégagées par la jurisprudence.
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