Par Gérard Haas, Claire Lefebvre, Hugues Payen et Théophile Tsimaratos
Le transport routier de marchandises n’a pas été épargné par la révolution numérique, et a subi d’importants bouleversements et transformations avec notamment une « ubérisation » des services d’intermédiation entre transporteur et chargeur.
De nombreuses plateformes digitales ont vu le jour pour profiter de ce nouveau marché dans un cadre juridique inadapté à la situation.
En réaction, le législateur a adopté la loi n°2019-1428 du 14/12/2019 d’orientation des mobilités ( « Loi LOM ») qui vient encadrer les plateformes en ligne intervenant dans le secteur du transport et mettant en relation des chargeurs et des transporteurs.
Une ordonnance n°2021-487 du 21 avril 2021 est venue préciser ces nouvelles obligations, désormais intégrées au Code des transports.
Entré en vigueur le 1er janvier 2022, ce texte est novateur pour les plateformes du secteur des transport de marchandises (les « plateformes d’intermédiation numérique de transport public routier de marchandises ») en ce qu’il vient créer deux statuts, l’un contraignant et l’autre plus permissif, dont le bénéfice dépend de l’influence exercée par la plateforme sur la relation contractuelle de ceux qu’elle met en relation.
Les deux nouveaux statuts des plateformes d’intermédiation sont les suivants :
La définition donnée par le Code des Transports indique que seules les plateformes qui n’exercent aucune influence décisive sur les conditions essentielles des services de transport, pourront bénéficier de ce statut.
Concrètement, il convient de réserver cette qualification aux seules plateformes numériques qui mettent en relation des parties véritablement indépendantes en vue d’un contrat projeté, mais qui n’interviennent à aucun moment dans la sélection des parties en présence ni dans l’évaluation du prix de la prestation. Ainsi, si un chargeur utilise la plateforme d’un OBNF, il doit avoir accès à une forme d’annuaire de transporteurs, chacun affichant leurs propres prix, de façon qu’il choisisse librement celui qui lui convient le mieux.
Cette qualification est réservée aux plateformes qui exercent un rôle actif dans la mise en relation des différents acteurs du transport de marchandises.
L’opérateur de la plateforme est qualifié d’OSN parce que la prestation de mise en relation qu’il propose ne se résume pas à proposer un annuaire de transporteurs, mais il intervient activement dans la détermination de la prestation de transport qui est proposée, notamment en exerçant une influence décisive sur :
Les conditions essentielles des services et/ou concernant leur exécution (modes de transports proposés selon les trajets ; modalités de prises en charge des colis ; délais de livraison maximums ; etc.) ;
Le prix (en fixant un tarif unique et/ou des plafonds) ; ou encore
Le choix du transporteur retenu : par exemple, le chargeur recherche une « course » et est automatiquement mis en relation avec un transporteur.
La distinction entre chacune des deux qualifications est capitale, puisqu’en découlera deux régimes juridiques distincts, ayant un impact direct sur la responsabilité de la plateforme sur le sort des marchandises transportées.
Ainsi, le statut d’OSN est beaucoup plus contraignant que celui d’OBNF, car l’opérateur exerce une véritable influence sur la prestation de service, et doit donc se plier à plus d’obligations.
Chaque qualification prévue par le Code des Transports implique des obligations qui lui sont propres.
Les OBNF et OSN ont quelques obligations communes, quant à la communication sur demande à l’autorité administrative de statistiques ou des preuves de nature à établir le respect de leurs obligations respectives.
A compter du 1er juin 2023, ils auront également pour obligation de s’assurer que les entreprises de transport public de marchandises sont en mesure de justifier de leur respect d’un certain nombre d’obligations : couverture assurancielle ; régularité de leurs obligations au regard du droit social.
A compter du 1er juin 2023, les Opérateurs de Bourse de Fret seront tenus de déclarer leur activité auprès de l’autorité administrative compétente.
En cas de manquement grave ou répété à ses obligations par un Opérateur de Bourse de Fret, celui-ci pourra se voir interdire d’exercer son activité en France pendant une durée ne pouvant excéder un an.
Le nouveau titre du Code des transports prévoit plusieurs obligations incombant aux OSN, et notamment :
A compter du 1er juin 2023, une obligation d’inscription à un registre tenu par l’autorité administrative, subordonnée à des conditions de garantie financière et d’honorabilité professionnelle, et la possible radiation, temporaire ou définitive, de l’OSN du registre en cas de manquements à la législation ;
Depuis le 1er janvier 2022, la délivrance d’une information loyale, claire et transparente sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres et des services auxquels la plateforme permet d’accéder ;
Depuis le 1er janvier 2022, la responsabilité des biens transportés à l’égard des clients (chargeurs), dès lors qu’il a contribué à la formation du contrat de transport (détermination du prix, choix du transporteur et/ou des modalités de transport, etc.). A ce titre, l’OSN est garant de l’arrivée des marchandises dans le délai déterminé par le contrat et est responsable des avaries ou pertes de marchandises;
L’OSN ne peut s’exonérer de sa responsabilité que s’il apporte la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit :
au client ;
au destinataire ou à l'expéditeur de la marchandise si celui-ci n’est pas le client ;
au fait imprévisible et insurmontable d’un tiers étranger à la prestation ; ou
à la force majeure.
Le statut d’OSN est par conséquent beaucoup plus contraignant que celui d’OBNF, car du fait de l’influence qu’il exerce sur la prestation de service de transport, l’opérateur se retrouve garant de la bonne exécution de cette prestation (l’arrivée à bonne destination, sans dommages et dans les délais impartis des marchandises transportées).
Ainsi, il est essentiel pour les opérateurs de plateformes d’intermédiation numérique de transport de marchandises de prendre du recul pour déterminer quel régime juridique s’applique à leur activité.
S’ils souhaitent agir comme un simple intermédiaire, ils pourront bénéficier du statut d’OBNF mais dès lors qu’ils voudront exercer une influence sur les conditions essentielles de la prestation de transport, ils risquent d’être soumis au régime plus contraignant des OSN.
Tout opérateur de plateforme dédiée à des prestations de services doit en outre impérativement veiller à limiter le risque de requalification de ses contrats avec les prestataires indépendants en contrat de travail, au risque de devoir appliquer le droit du travail, voire d’être condamné pour travail dissimulé.
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