Par Haas Avocats
Une œuvre peut faire l’objet de contrefaçon, quand bien même elle serait selon son auteur « libre de droits ».
C’est ce qu’est dernièrement venue rappeler la cour d'appel de Rennes[1], dans le cadre d’un litige opposant une municipalité à un photographe.
Sollicité pour réaliser un reportage, ce dernier avait réalisé plusieurs clichés, pour lesquels les devis et factures émis par le photographe précisaient qu’ils étaient « libres de droits ».
En dépit de la perte de ses accréditations par suite d’un changement de municipalité, le photographe a toutefois constaté que l’une de ses photographies figurait toujours sur le site Internet de la commune. Si le photographe n’avait pas préalablement été informé de cette publication, le cliché publié était en outre recadré et n’était pas associé à son nom, raisons pour lesquelles le photographe a poursuivi la municipalité en contrefaçon.
La photographie litigieuse étant selon la cour d’appel protégeable au titre du droit d’auteur[2], le photographe dispose – en tant qu’auteur – de droits de propriété intellectuelle sur son œuvre.
Seulement, l’étendue de ces droits se trouve en l’espère amoindrie dans la mesure où les devis et factures adressés à la municipalité mentionnaient que la photographie était « libre de droits ».
Si cette notion, issue du concept anglais de « royalty-free », est de plus en plus utilisée dans le langage courant, elle ne fait toutefois pas écho à la conception française du droit d’auteur.
En effet, la terminologie « libre de droits » ne saurait permettre toute utilisation de l’œuvre à laquelle elle se rapporte, et se heurte au droit moral de l’auteur, prérogative propre au droit français.
D’une part, la cour d’appel de Rennes estime qu’en insérant cette mention au sein du devis et de la facture, l’auteur « a clairement renoncé à toute rémunération pour l’exploitation des clichés du reportage réalisé par ses soins », de telle sorte qu’elle serait de nature à le priver du bénéfice de ses droits patrimoniaux[3].
D’autre part, la cour estime que cette renonciation ne saurait concerner le droit moral de l’auteur, lequel est par nature incessible, inaliénable, imprescriptible et perpétuel. Il ne peut donc pas faire l’objet d’une cession, et l’auteur ne peut y renoncer.
En conséquence, et confirmant une décision précédente du 24 novembre 2009[4], la cour d’appel de Rennes précise qu’une photographie « libre de droits » n’affranchit aucun tiers de l’obligation de respecter le droit moral de son auteur.
Pour rappel, le droit moral de l’auteur est constitué[5] du :
En l’espèce, les juges ont condamné la municipalité à verser à l’auteur la somme de 500 €, en raison du recadrage de l’œuvre, et de l’absence d’apposition du nom du photographe sur le site Internet de la municipalité, et ce sans autorisation de l’auteur.
La mention libre de droit ne peut donc viser, selon la cour, que l’absence de rémunération puisque « la gratuité d’utilisation ne pouvait être confondue avec une utilisation modifiée sans autorisation et sans le nom de son auteur, le droit moral étant incessible ».
Au vu de la décision de la cour d’appel de Rennes, le simple fait de renseigner que les œuvres commercialisées sont libres de droit semble établir la renonciation de l’auteur au bénéfice de l’ensemble de ses droits patrimoniaux afférents auxdites œuvres pour l’avenir.
Par mesure de précaution, il ne pourrait ainsi qu’être recommandé aux auteurs de privilégier d’avoir recours à des contrats de cession de leurs droits de propriété intellectuelle, en lieu et place de l’apposition d’une telle mention source de véritables insécurités.
La formalisation d’un acte de cession permet ainsi de cloisonner précisément les modes d’exploitation de l’œuvre autorisés par l’auteur, ainsi que l’étendue – en termes de territoire et de durée – de la cession, tout en excluant expressément la cession des droits moraux de l’auteur.
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[1] Cour d’appel de Rennes, 17 janvier 2023, n°20/05121
[2] Les juges sont venus rappeler que si les photographies sont considérées comme des œuvres de l’esprit selon l’article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, leur protection par le droit d’auteur est soumise à leur originalité. En l’espèce, la cour considère que la photographie litigieuse est suffisamment originale pour être protégée au titre du droit d’auteur.
[3] Les droits patrimoniaux de l’œuvre permettent à l’artiste de contrôler la manière dont son œuvre va être utilisée.
[4] Cour d’appel de Rennes, 2ème chambre commerciale, 24 novembre 2009, n°08/06987
[5] Article L 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle