Par Haas Avocats
Il n’est pas possible de vendre des parfums ou produits cosmétiques d’occasion d’une marque de luxe. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 6 décembre 2023[1] à l’égard de produits cosmétiques de luxe de la marque Chanel.
Tout consommateur ou société qui s’y aventurerait prendrait le risque d’une condamnation pour contrefaçon.
Pour comprendre cette décision, il faut revenir aux principes imposés par l’Union européenne en matière de droit des marques.
Puisque le droit de la propriété intellectuelle confère un monopole d’exploitation au titulaire d’une marque sur ses produits, il est considéré par le législateur européen comme une entrave au principe cardinal de la libre circulation des marchandises. Il a ainsi été dégagé un principe dit d’épuisement des droits, signifiant que le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à la revente d’un produit dans l’Union européenne lorsque le titulaire de la marque a déjà commercialisé ce produit ou, a minima, a consenti à sa commercialisation sur le territoire de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.
Ce principe a été transposé en droit français dans le Code de la propriété intellectuelle[2].
Toutefois, pour protéger des marques particulièrement prestigieuses souhaitant conserver et entretenir leur image de luxe, il a été permis au titulaire de la marque de s’opposer à une nouvelle commercialisation s’il justifiait d’une modification ou altération de l’état de ses produits lors de la revente.
Des marques de luxe comme Dior, Chanel ou encore Pierre Cardin défendent ainsi régulièrement leurs droits en justice sous ce motif. Cela est justifié par l’univers de luxe et de pureté que s’évertuent à constituer ces marques autour de leurs produits.
A cet égard, ces marques auront souvent mis en place un réseau de distribution exclusive soumis à des règles de commercialisation très strictes, les produits portant la mention suivante : « ne peut être vendu que par les dépositaires agréés ». En effet, comment entretenir cet univers luxueux si leurs produits se retrouvent commercialisés aux côtés de produits considérés comme plus « bas de gamme » ou encore s’ils sont présentés dénués d’emballage, voire parfois endommagés ?
C’est ainsi que la jurisprudence a considéré à maintes reprises que les droits des titulaires de marques revêtant une image particulièrement luxueuse et synonyme d’un certain standard, ne s’épuisaient pas par la première commercialisation, lorsque la revente du produit portait atteinte à cette image. A cet égard, les conditions de commercialisation, ainsi que l’état du produit, font l’objet de la plus grande vigilance de la part des juges.
Lorsqu’un produit a déjà été commercialisé dans l’Espace Economique Européen par le titulaire d’une marque ou par un tiers avec son accord, il pourrait, en principe, être à nouveau commercialisé librement. Cependant, le titulaire peut s’opposer à cette commercialisation en cas de modification ou d’altération du produit[3]. C’est la limite à la règle d’épuisement des droits.
Dans cet arrêt du 6 décembre 2023, la Cour de cassation confirme ainsi le principe général, applicable aux parfums et produits cosmétiques de luxe, selon lequel « toute utilisation partielle d’un (tel) produit conduit à son altération, laquelle est gravement préjudiciable » à l’image de la marque. Cela signifie qu’un produit cosmétique de luxe qui aurait déjà été utilisé partiellement, ne pourrait être revendu librement.
Rien de véritablement nouveau cependant puisque l’on savait déjà, à la suite d’un arrêt du 12 juillet 2011 de la Cour de Justice de l’Union européenne, que le titulaire de la marque pouvait s’opposer à ce qu’un parfum ou un produit cosmétique marqué soit revendu dans un état déconditionné, s’il était établi que le retrait de l’emballage avait porté atteinte à l’image dudit produit et, ainsi, à la réputation de la marque.
Il semble que la Haute juridiction applique ce principe au cas de l’utilisation partielle d’un produit cosmétique marqué.
Ainsi, selon la Cour de Cassation, dès lors qu’un produit d’occasion d’une marque de luxe est dépourvu de son emballage ou a été partiellement utilisé, il ne peut pas être revendu sans autorisation du titulaire de la marque, sous peine de se voir reprocher un usage illicite de la marque et d’être condamné pour contrefaçon.
La solution stricte dictée par les circonstances particulières du cas d’espèce n’est malgré tout probablement pas à généraliser à la revente de produits d’occasion par des particuliers qui ne s’inscrivent pas dans la vie des affaires.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs dans le cadre de la gestion de leurs portefeuilles de marques et gère notamment les contentieux judiciaires et extrajudiciaires en matière de contrefaçon. Pour en savoir plus, contactez-nous ici
[1] Cass., com., 6 décembre 2023 n°20-18.653
[2] Article L 713-4 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle
[3] Article L 713-4 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle