Par Gérard Haas, Claire Lefebvre et Antoine Kraska-Delsol
En début d’année, Elon Musk avait proposé 5.000$ à un étudiant américain qui avait créé un compte Twitter qui suit les déplacements de son jet privé.
Son offre fut non seulement refusée (l’étudiant réclamant à Elon Musk de couvrir ses frais d’université) mais elle a également mis sur le devant de la scène cette pratique qui s’est désormais diversifiée pour suivre les jets d’autres personnalités directement sur les réseaux sociaux.
Ce mouvement n’a pas manqué d’arriver en France, où plusieurs comptes sur Twitter et Instagram suivent désormais de très près le déplacement des avions privés de grands groupes français et de milliardaires.
Sont notamment visés les déplacements des jets appartenant aux groupes Arnault, Bolloré Bouygues, Decaux… Et pour aller plus loin, cette initiative vise également les yachts.
L’un des objectifs de cette mise en avant des trajets en jets privés ? Montrer du doigt les émissions de CO2 de ces appareils et le lourd tribut environnemental qui en découle – de tels appareils pouvant émettre jusqu’à 2 tonnes de CO2 par heure, tandis qu’un citoyen de l’Union Européenne émet « seulement » 7,5 tonnes par an, en moyenne.
Par exemple, sont dénoncés Kylie Jenner et Drake pour leurs vols de moins de 20 minutes, Taylor Swift et ses 170 trajets en six mois, ou encore même Vincent Bolloré et ses cinq vols en l’espace d’une journée.
L’utilisation de leurs jets privés par des célébrités américaines serait responsable de l’émission de près de 3.400 tonnes de CO2 rien que pour la première moitié de l’année 2022. Et ce, pour des vols qui durent en moyenne à peine plus d’une heure, pour de faibles kilométrages.
Ces aéronefs sont suivis grâce aux systèmes ADS-B (« Automatic Dependent Surveillance-Broadcast ») dont ils doivent être équipés afin d’assurer le contrôle du trafic aérien.
Les informations relatives aux vols d’avion étant primordiales à des fins de sécurité, elles transitent par des canaux non chiffrés et peuvent, par conséquent, être consultées par tous. Des outils comme Flightrader24 ou ADS-B Exchange permettent ainsi de suivre en direct l’état du trafic aérien dans le monde.
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) encadre l’utilisation des données à caractère personnel des individus – notamment, leur traitement doit être fondé sur une base légale, par exemple les besoins de l’exécution d’un contrat ou le consentement de la personne concernée.
Est une donnée personnelle toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (article 4 du RGPD) – c’est-à-dire que la donnée doit être rattachable à une personne spécifique.
Or, concernant les vols des jets privés :
Ainsi, à moins que l’information relayée puisse être directement rattachable à une personne désignée (telle célébrité a personnellement effectué tel nombre de vols), le RGPD n’a donc pas vocation à encadrer ces traitements de données…
Si tel était le cas, la personne à l’origine des publications pourrait être considérée comme responsable du traitement et devrait justifier d’une base légale pour traiter les données et les diffuser.
Les personnes ciblées par le jet tracking ont droit au respect de leur vie privée, comme prévu par l’article 9 du Code civil.
La Cour de cassation n’a pas manqué par le passé de préciser que « toute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée ».
Toutefois, il n’est pas rare que des droits et libertés fondamentaux, comme le droit au respect de la vie privée (ou même la protection des données personnelles), fassent néanmoins l’objet de limitations légitimées par la présence d’autres intérêts (par exemple, l’intérêt légitime du responsable de traitement prévu par l’article 6 du RGPD).
Il pourrait ainsi être envisagé que la diffusion élargie des informations relatives aux vols de jets privés puisse être justifiée par d’autres enjeux reconnus par le droit français :
Pour procéder à la mise en balance de ces intérêts divergents, la Cour européenne des droits de l’Homme considère qu’il y a lieu de prendre en considération « la contribution à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances » de l’obtention des informations.
[Pour en savoir plus sur le droit du public à l’information, n’hésitez pas à consulter nos autres articles sur le sujet, et notamment concernant la conciliation entre la liberté d’expression et d’information et la protection des données personnelles ou les limites de la liberté d’expression des associations de défense des animaux.]
En toutes hypothèses, licite ou illicite, le jet tracking alimente l’actualité législative : plusieurs ONG et certains responsables politiques souhaitent aujourd’hui encadrer l’aviation d’affaires.
***
Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de vingt-cinq ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit et notamment en matière de protection des données personnelles. Sensible aux sujets d’écologie, le Cabinet HAAS Avocats se positionne également sur la responsabilité environnementale du digital
Si vous souhaitez avoir plus d’informations au regard de la réglementation en vigueur, n’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Pour en savoir plus, contactez-nous ici.