Par Gérard Haas et Jean-Edouard Poux
La révolution engendrée par internet irradie dans tous les domaines de l’existence humaine, y compris au sein de la sphère intime. Un récent arrêt de la Cour de cassation[1] constitue une parfaite illustration de ce phénomène puisqu’il autorise un site internet de « dating » à faire la promotion publique de l’adultère. Derrière cette singulière jurisprudence c’est en réalité l’articulation entre la liberté d’expression et les bonnes mœurs qui suscite l’intérêt.
La rude concurrence qui règne dans l’univers des « sites de dating » incite régulièrement ces derniers à adopter une communication disruptive pour recruter de nouveaux membres. Dans cette perspective, le site Gleeden.com, qui se spécialise avec succès dans les aventures entre personnes mariées, a suscité la polémique avec une campagne d’affichage sur les autobus à Paris et en Ile-de-France. Figurait en effet sur les affiches litigieuses une pomme croquée accompagnée du slogan : « Le premier site de rencontres extra-conjugales ».
S’appuyant sur l’article 212 du code civil, qui prévoit notamment que les époux se doivent mutuellement fidélité, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) a assigné la société éditrice du site afin, d’une part, d'obtenir la nullité des contrats conclus entre celle-ci et ses utilisateurs, au motif qu’ils seraient fondés sur une cause illicite et, d’autre part, de faire cesser toute référence à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans ses campagnes publicitaires.
Après le rejet de ses demandes en première instance, la CNAFC renonça, en cause d’appel, à solliciter la nullité des contrats mais persista à demander la fin de la campagne d’affichage. N’obtenant pas plus de succès devant la cour d’appel, elle forma alors un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation devait donc trancher la question : Peut-on interdire une publicité pour un site de rencontres encourageant l’adultère ?
Au visa des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 212 du code civil, la Cour de cassation répond négativement en rejetant le pourvoi.
Dans son raisonnement, elle concède que l’obligation de fidélité demeure au titre des obligations du mariage et qu’il s’agit bien d’une obligation d’ordre public puisque les époux ne peuvent s’en affranchir par un pacte ou une convention. Toutefois, elle souligne qu’aujourd’hui, si l’adultère constitue une faute civile, celle-ci peut uniquement être invoquée par un époux contre l’autre à l’occasion d’une procédure de divorce. En effet, conséquence de la libéralisation des mœurs, le délit d’adultère a été supprimé dès 1975. Aussi, eu égard à l’absence de sanction de l’adultère en dehors des relations entre époux, le devoir de fidélité ne saurait justifier l’interdiction légale d’une publicité pour des rencontres extra-conjugales à des fins commerciales.
C’est pourquoi une campagne publicitaire ne peut être légalement interdite sur le fondement de l’obligation de fidélité entre les époux.
La Confédération s’appuyait également sur la violation des règles d’éthique et d’autodiscipline professionnelle contenues dans le Code de la chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciales. Les magistrats écartent cet argument au motif que ces dispositions n’ont pas de valeur juridique contraignante mais constituent simplement des règles internes à la profession et qu’elles sont donc dénuées de tout caractère impératif.
Du reste, se référant à la décision du jury de déontologie du 6 décembre 2013, la Cour constate qu’en toute hypothèse les publicités en cause ne contiennent aucune image pouvant être considérée comme indécente et que les termes utilisés ne sont pas susceptibles d’heurter les enfants eu égard à l’ambiguïté du slogan. Certes, elle admet que cette campagne promotionnelle puisse choquer les convictions religieuses de certains spectateurs mais la Cour considère qu’une interdiction sur ce fondement porterait une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’expression qui occupe, à raison, une place éminente dans une société démocratique.
Finalement, rien n’interdit en France de faire la promotion de l’adultère sur internet. Le présent arrêt, qui s’insère parfaitement dans le mouvement continu d’affaiblissement du devoir de fidélité entre époux, innove cependant par sa motivation fondée sur la liberté d’expression. Surtout, il rappelle la nécessité pour les entreprises d’apporter une attention particulière à la dimension juridique qu’implique une campagne promotionnelle. A cet égard, l’ambiguïté savamment calculée du slogan utilisé par le site Gleeden constitue une parfaite illustration d’une prise de risque calculée avec justesse.
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