Par Gérard Haas et Claire Benassar
Si l'auteur d'une œuvre jouit sur celle-ci, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle (CPI) vise diverses exceptions à ce monopole conféré à l’auteur.
Notamment, lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire sa parodie ou caricature.
Toutefois, est-il possible de détourner une œuvre parodiant une œuvre pré existante ?
C’est précisément sur ce point que la cour d’appel de Paris est venue se prononcer dans un arrêt du 30 septembre 2022[1], s’agissant de tableaux détournant La Joconde de Léonard de Vinci en la remplaçant par une figurine Playmobil.
Rappel des faits : la reprise du tableau La Joconde
L’artiste-peintre Pierre-Adrien Sollier est notamment réputé pour avoir reproduit des œuvres célèbres en remplaçant les personnages y figurant par la peinture de figurines reprenant la morphologie de celles connues sous le nom de Playmobil.
L’auteur se prévaut ainsi de droits d’auteur en particulier sur des œuvres réalisées en 2011, parmi lesquelles figure La Joconde.
Déjà en 2016, M. Sollier avait découvert l’offre en vente par la société viticole Puech Haut d’un tonnelet de vin sur lequel étaient copiées certaines de ses créations, sans autorisation de l’auteur. Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris[2] avait alors retenu les faits de contrefaçon.
De façon similaire, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 30 septembre 2022, Monsieur Sollier a découvert qu’était proposé à la vente, sans son autorisation, un tableau sur lequel figurent différentes versions comiques de La Joconde, incluant notamment sa propre version de 2011.
L’occasion pour la cour d’appel de rappeler certains principes en matière de droit d’auteur.
L’antériorité d’une œuvre sur une autre n’est pas de nature à priver cette dernière de toute originalité
Dans le jugement rendu en première instance[3], le tribunal avait rejeté les demandes de Monsieur Sollier au motif que son œuvre était dénuée de toute originalité, les défendeurs invoquant l’existence d’un tableau similaire réalisé par un auteur tiers avant 2011.
Et, sans originalité, il ne peut y avoir de droit d’auteur et donc de contrefaçon.
La cour d’appel de Paris était ainsi amenée à décider en premier lieu si le tableau détournant la Joconde sous forme de figurine Playmobil était original.
A ce titre, la cour rappelle que « l'originalité comme condition de la protection au titre du droit d'auteur, s'oppose à la notion de nouveauté », la notion d'antériorité étant ainsi « inopérante » en droit d'auteur.
A ce titre, les juges relèvent que la circonstance qu’un auteur tiers ait préalablement à Monsieur Sollier réinterprété La Joconde en utilisant la photographie d'une figurine Playmobil « n'est pas suffisante à priver d'originalité le tableau de Sollier ». En effet, la cour relève que ce dernier a lui-même fait des choix arbitraires et esthétiques différents qui font que l'aspect global de l'œuvre prise dans la combinaison de chacun de ses éléments, fussent-ils connus, « en font un tableau qui présente une physionomie particulière qui le distingue du jouet qu'il évoque ou de créations du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ».
Aussi, pour la cour d’appel de Paris, l’œuvre de M. Sollier détournant le tableau originel de La Joconde en remplaçant le personnage par une figurine Playmobil est bien original.
Partant, ledit tableau est bien éligible à la protection par le droit d'auteur.
Le détournement d’une parodie n’est pas librement admissible
Le tableau de M. Sollier étant original, la cour a dans un deuxième temps eu à se prononcer sur la question de savoir si sa reprise constituait un acte de contrefaçon.
Sur ce point, les intimés invoquaient notamment le courant artistique de l'appropriationnisme, précisant alors que le droit d'auteur ne pouvait faire obstacle à la création, la liberté de création artistique et d'expression devant prévaloir.
La cour estime toutefois que ce courant ne saurait ici être invoqué, et que la parodie dont se prévaut l’auteur de l’œuvre seconde est celle de l'œuvre d'origine soit La Joconde et non du tableau de M. Sollier.
Par conséquent, en reproduisant le tableau dont M. Sollier est l'auteur, sans son autorisation, l’auteur de l’œuvre seconde a nécessairement porté atteinte à ses droits patrimoniaux.
La réutilisation de cette œuvre ne saurait ainsi elle-même relever de l’exception de parodie et constitue bien une contrefaçon.
Cette décision vient rappeler la portée des dispositions de l’article L.122-5 du CPI, lesquelles doivent rester strictement limitées afin d’assurer la meilleure protection des auteurs.
La combinaison de la liberté d’expression, de laquelle découle la liberté artistique des auteurs, et des droits exclusifs conférés aux auteurs par le CPI conduit ainsi à prévoir des exceptions à ces droits exclusifs, dont l’interprétation stricte prévaudra nécessairement sur la liberté d’expression.
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[1] CA Paris, Pôle 5, Ch. 2, 30 septembre 2022, n° 20/18194
[2] CA Paris, Pôle 5, Ch. 2, 17 janvier 2020, n°18/20593
[3] TJ Paris, 3 déc. 2020, n° 19/06289