Panorama 2020 des jurisprudences en matière de franchises

Panorama 2020 des jurisprudences en matière de franchises
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Par Eve Renaud-Chouraqui et Noa Setti

En 2020, les litiges entre franchiseurs et franchisés ont, une nouvelle fois, classiquement porté sur l’information précontractuelle du franchisé et la possibilité pour ce dernier de solliciter judiciairement la nullité du contrat de franchise pour vice du consentement.

Les litiges ont également porté sur :

  • La possible requalification du contrat de franchise ;
  • Les conséquences pratiques associées à la mise en liquidation judiciaire du franchisé ;
  • La résiliation anticipée du contrat de franchise par le franchisé ;
  • Les clauses de non concurrence et la concurrence déloyale et parasitaire.

Ce panorama ne peut être réalisé sans faire référence au jugement rendu dans la franchise SUBWAY, ayant abouti à l’annulation de certaines clauses du contrat sur le fondement du déséquilibre significatif.

Avant de présenter les décisions rendues, précisons que le présent panorama n’a pas vocation à être exhaustif. Il vise à vous présenter les décisions qui nous ont paru intéressantes dans l’appréhension de cette matière et de sa complexité.

Nous vous invitons également à consulter notre page dédiée au droit de la franchise

1. L’information précontractuelle du franchisé

Pour rappel, l’article L.330-3 du Code de commerce, précisé par l’article R.330-1 du même code, prévoit que le franchiseur est tenu à une obligation d’information précontractuelle à l’égard du franchisé. Cette information doit être sincère afin de lui permettre de s'engager en connaissance de cause.

À ce sujet, la jurisprudence des cours d’appel a fait preuve d’une certaine souplesse :

Tout d’abord, le caractère très optimiste des chiffres prévisionnels fournis par le franchiseur, à les supposer intentionnellement exagérés, ne suffisent pas à caractériser une manœuvre dolosive (CA Paris, 16 septembre 2020, n° 18/04804). De manière générale, la seule absence d’information précontractuelle est insuffisante à fonder l’existence d’une erreur sur la substance de la chose, ni même d’un dol, faute pour le franchisé d’établir le caractère déterminant de ce manquement sur son consentement (CA Versailles, 19 novembre 2020, n°19/01483).

Par ailleurs, lorsque le délai de réflexion octroyé au franchisé entre la remise du document d’information précontractuelle et la signature du contrat de franchise excédait les 20 jours prévus par l’article L.330-3 alinéa 4 du Code de commerce, ce temps supplémentaire permettait au franchisé de compléter d’éventuelles insuffisances dans l’information du franchiseur. Aussi, il a été considéré que l’absence de présentation de l’état local du marché par le franchiseur n’était alors pas de nature à vicier le consentement du franchisé (CA Orléans, 7 mai 2020, n° 19/01891). Enfin, lorsque le franchisé avait, préalablement à la conclusion du contrat, connaissance des dispositions réglementaires encadrant son activité, cela exclut que le franchiseur fût tenu de l’en informer (CA Saint-Denis de la Réunion 6 mars 2020, n° 18/02128).

Notons que la Cour de cassation est également intervenue sur ces sujets, et a naturellement admis que l’erreur sur la rentabilité du concept d’une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données communiquées par le franchiseur (Cass. Com., 24 juin 2020, n° 18-15.249).

Cependant, cette souplesse d’interprétation n’est pas illimitée. La Haute juridiction a en effet considéré que, bien que le franchiseur ne soit pas tenu de remettre au franchisé un compte d’exploitation prévisionnel, s’il le fait malgré tout, celui-ci doit contenir des informations sincères et vérifiables (Cass. Com., 10 juin 2020, n° 18-21.536). Cette position a notamment été reprise par la Cour d’appel de Lyon, qui a admis que le franchiseur qui donne une information qui n’est pas exigée par les textes doit néanmoins satisfaire à l’obligation de sincérité (CA Lyon, 3 décembre 2020, n° 17/03449).

Une cour d’appel a également retenu que le refus délibéré du franchiseur de fournir au franchisé les bilans, qui auraient renseigné celui-ci sur les mauvais résultats de ses prédécesseurs, a contribué à rendre ineffective la possibilité pour le franchisé de se renseigner utilement pendant la phase précontractuelle, et constitue un manquement contractuel du franchiseur (CA Paris, 16 septembre 2020, n° 18/04804).

2. La qualification du contrat de franchise

La Cour d’appel de Lyon a eu l’occasion de rappeler de manière précise la définition du contrat de franchise : c’est un « contrat synallagmatique à exécution successive par lequel une entreprise (franchiseur) confère à une ou plusieurs autres entreprises (franchisées) le droit de réitérer, sous l’enseigne du franchiseur, à l’aide de ses signes de ralliement de la clientèle et de son assistance continue, le système de gestion préalablement expérimenté par le franchiseur et devant, grâce à l’avantage concurrentiel qu’il procure, raisonnablement permettre à un franchisé diligent de faire des affaires profitables » (CA Lyon, 3 décembre 2020, n°17/03449).

Sur la notion de savoir-faire, il s’agit d’un « ensemble secret, substantiel et identifié d’informations pratiques non brevetées résultant de l’expérience du fournisseur et testées par celui-ci ». L’absence d’un savoir-faire spécifique détenu et transmis par le franchiseur prive la contrepartie du franchisé de cause (CA Caen, 26 novembre 2020, n°18/00584). La Cour de cassation a d’ailleurs considéré qu’un contrat d’adhésion ne saurait être requalifié en contrat de franchise en l’absence de cet élément (Cass. Com., 24 juin 2020, n° 18-18.69). 

Enfin, une cour d’appel a précisé que le contrat de franchise ne comporte à la charge du franchiseur aucune obligation de réussite commerciale du franchisé, cette réussite reposant sur la propre aptitude de ce dernier à reproduire le savoir-faire qui lui a été transmis (CA Limoges, 18 mai 2020, n°19/00189). Cette même juridiction avait d’ailleurs déjà proposé un critère de distinction entre contrat de franchise et contrat de travail : un franchisé est un « commerçant indépendant totalement responsable de son exploitation et qui n’est pas habilité à agir au nom et pour le compte du Master franchisé, à le représenter ou à souscrire des engagements en son nom » ; or, le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération (CA Limoges, 3 février 2020, n° 18/01198).

3. Les conséquences pratiques de la mise en liquidation judiciaire du franchisé

Lorsque le franchisé se retrouve en liquidation judiciaire, il est fréquent que le mandataire judiciaire demande l’annulation du contrat de franchise.

Aussi, la Cour d’appel de Lyon a rappelé que le liquidateur judiciaire est le seul ayant qualité à agir pour demander l’indemnisation du préjudice collectif subi par les créanciers de la société franchisée ; dès lors, le dirigeant de la société franchisée n’est qu’un créancier de cette dernière et ne peut pas agir en remboursement de ses apports (CA Lyon, 5 mars 2020, n° 18/04053).

Au sujet d’une clause compromissoire, la Cour de cassation a jugé que celle-ci demeurait applicable en cas de liquidation judiciaire du franchisé, rappelant que le liquidateur « exerce les droits et actions du débiteur dessaisi sur le fondement du contrat », et agit donc en lieu et place d’une partie au contrat (Cass. Com., 26 févr. 2020, n° 18-21.810).

4. La résiliation anticipée du contrat de franchise et son renouvellement tacite

  • Concernant la résiliation anticipée du contrat de franchise, il a été admis que la circonstance que le gérant de la franchisée ait créé une seconde société, drainant une clientèle similaire à celle du franchiseur et dans une zone géographique identique, constitue un manquement de la franchisée à ses obligations de confidentialité et de secret, et justifie la résiliation immédiate et sans préavis du contrat de franchise par le franchiseur (CA Nancy, 14 octobre 2020, n° 19/01736).

D’autre part, il a été retenu qu’en cas de cession du fonds de commerce par le franchisé avant l’arrivée du terme du contrat de franchise, et même à défaut d’indemnisation expressément prévue par celui-ci, le droit commun de la responsabilité civile a vocation à s’appliquer - et notamment l’article 1217 nouveau, relatif aux sanctions en cas d’inexécution contractuelle (CA Paris, 1er juillet 2020, n° 18/21756).

En outre, la Cour d’appel de Paris a considéré que le non-respect par le franchiseur de son obligation de formation continue et d’animation du réseau, de son obligation d’approvisionnement et de son obligation de veiller au respect par les franchisés des normes imposées, ne présentent pas un degré de gravité suffisant pour justifier la résolution du contrat de franchise. Dès lors, le franchisé qui s’est abstenu de payer les redevances dues, ne peut opposer l’exception d’inexécution pour justifier ce manquement (CA Paris, 8 janvier 2020, n° 18/07758).

  • Concernant le renouvellement tacite du contrat, une cour d’appel a retenu que le seul maintien par le franchiseur de la possibilité pour le franchisé d'accéder au système de réservation de l'enseigne postérieurement au terme du contrat, ne caractérise pas que ce dernier ait effectivement fait usage de cette faculté, et ne saurait impliquer qu’il a poursuivi l’exploitation au-delà du terme initialement prévu (CA Bourges, 22 mai 2020, n° 19/00747).

Dans la même idée, il a été admis que la preuve de l’existence d’un usage ne peut résulter d’un acte unique, et le fait que les parties au contrat de franchise aient précédemment admis un renouvellement par accord réciproque tacite est insuffisant pour caractériser l’existence d’un usage de renouvellement par accord tacite (CA Versailles, 18 mai 2020, n° 18/08069).

5. Les clauses de non-concurrence et la concurrence déloyale et parasitaire

  • Sur les clauses de non concurrence 

Les clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de franchise font l’objet d’un contrôle strict et peuvent être déclarées non valides lorsqu’elles ne sont pas jugées suffisamment limitées dans l’espace (CA Angers, 10 novembre 2020, n°16/01971 ; CA Toulouse, 18 novembre 2020, n° 19/00757).

En outre, il a logiquement été retenu que le franchisé qui a nommé en qualité de DG le dirigeant d'un réseau concurrent a manqué à son obligation de non-concurrence, dès lors que ce DG avait nécessairement accès à toutes les informations sur la franchise (CA Paris, 19 février 2020, n° 16/19954).

  • Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La Cour de cassation a admis que l’achat d’un fonds de commerce à vil prix et les abandons de créance consentis par un franchiseur à des franchisés, faute d’être illicites par eux-mêmes, ne peuvent être qualifiés d’actes de concurrence déloyale (Cass. Com., 29 janvier 2020, 18-14.574).

Pourtant, dans un litige opposant Domino’s pizza et Speed Rabbit pizza, la Haute juridiction avait rejeté la solution d’une cour d’appel qui se contentait de retenir que les facilités financières accordées par Domino’s pizza à ses franchisés l’étaient à titre onéreux et que leur caractère anormal n’était pas démontré, au lieu de rechercher si elles n’avaient pas pour effet d’avantager déloyalement ses franchisés, au détriment de ceux de Speed Rabbit pizza (Cass. Com., 15 janvier 2020, 17-27.778).

Enfin, la Cour d’appel d’Angers a eu l’occasion d’admettre l’existence d’un parasitisme économique, au sujet d’un ancien franchisé qui, pendant cinq ans après le non-renouvellement de son contrat, avait continué à faire référence au nom commercial du franchiseur sur des sites internet tels qu’Infogreffe, société.com, pages jaunes.fr et autres (CA Angers, 10 novembre 2020, n°16/01971).

6. Le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat de franchise


Par un arrêt en date du 13 octobre 2020 (n° 2017005123), le Tribunal de commerce de Paris a jugé le contrat de franchise SUBWAY comme étant déséquilibré, et a prononcé la nullité d’un certain nombre de clauses qui y étaient intégrées, parmi lesquelles :

- Une clause relative à la durée du contrat : elle prévoyait que le contrat est conclu pour une durée de 20 ans et automatiquement renouvelé pour des périodes supplémentaires de 20 ans, à moins que l’une des parties n’informait son co-contractant de son intention de ne pas renouveler. Or, en principe dans un contrat de franchise la garantie d’exclusivité ne peut excéder 10 ans.

- Une clause relative aux horaires d’ouverture des points de vente : elle imposait au franchisé un nombre d’heures minimales d’ouverture de l’enseigne. Une telle clause a été considérée comme constituant une immixtion excessive du franchiseur.

L’entreprise américaine a été condamnée au paiement d’une amende de 500.00 euros.

Un appel est à l’étude par celle-ci. Il est fort probable que cette affaire ait des suites et que nous soyons amenés à vous en reparler.

7. Les manœuvres frauduleuses

A ce sujet, la Cour d’appel de Paris a considéré que, « eu égard aux relations existant entre les parties et à la liberté de négocier les avantages réciproques en résultant pour elles », la menace par le franchiseur de suspendre le service des commandes en ligne en l’absence d’acceptation par les franchisés des nouvelles conditions générales de mise à disposition du service ne peut constituer une violence (CA Paris, 8 janvier 2020, n° 17/19362).

En outre, la Cour de cassation a admis que le seul constat de l’existence de manœuvres dolosives commises par le franchiseur lors de la conclusion du contrat de franchise, n'est pas en lui-même de nature à entraîner la nullité des contrats de vente conclus par la suite, dès lors que n'a pas été prouvée l'existence d'un lien juridique entre le contrat de franchise et ces contrats (Cass, Com., 21 octobre 2020, 18-19.702).

Toutefois, la Haute juridiction a retenu que les droits propres acquis frauduleusement par un tiers extérieur au contrat de franchise ne peuvent être valablement invoqués pour lui ouvrir la voie de la tierce-opposition dans le cadre du litige relatif aux conséquences de cette fraude (Cass. Com., 7 juillet 2020, 19-10.180).

Enfin, la Cour de cassation s’est récemment prononcée dans une affaire opposant Casino à Carrefour (Cass. Com., 13 janvier 2021, 19-17.051) : en l’espèce, une société avait conclu un contrat de franchise avec Casino, pour l'exploitation d'un fonds de commerce sous l’enseigne Spar. Après avoir résilié le contrat en invoquant son inexécution par Casino, le gérant de la franchisée a cédé ses parts à Carrefour. Or, la franchisée était informée que la qualité de dirigeant effectif de son gérant initial et le fait qu'il détienne la majorité des parts de la société étaient essentiels pour Casino ; en outre, celle-ci bénéficiait d'un pacte de préférence. Dès lors, la Haute juridiction a considéré que la franchisée avait pris des engagements relatifs à la sauvegarde de l’intuitu personæ en son sein, qui mettaient à sa charge, quand bien même elle serait tiers à la cession de parts, une obligation d’information envers Casino préalablement à tout projet de cession. Par ailleurs, Carrefour qui connaissait les dispositions du contrat de franchise Spar et qui avait connaissance, en sa qualité de professionnel aguerri de la grande distribution, de l’existence courante de ce type de droit de préemption, a participé en connaissance de cause à la violation, par cette société, de ses obligations contractuelles. Carrefour a donc été condamnée.

Pour conclure ce panorama, on peut enfin citer une décision de la Cour d’appel de Paris, qui semble avoir implicitement retenu que l’impécuniosité du franchisé pouvait être de nature à remettre en cause la compétence du tribunal arbitral et ce, malgré l’existence d’une clause compromissoire valide (CA Paris, 2 juin 2020, n° 17/18900).

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Eve Renaud-Chouraqui

Auteur Eve Renaud-Chouraqui

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