Par Gérard Haas et Théo Renaudie
Le 12 mars 2021, le collage numérique « Everyday : the First 5 000 Days » de l’artiste Beeple a été adjugé 58,6 millions d’euros chez Christie’s, propulsant son créateur au rang de 3ème artiste vivant le plus cher au monde
Image infiniment duplicable, la version vendue est pour autant unique grâce à son format spécifique : le NFT, ou jeton non-fongible. Explications.
Les non-fungible tokens, ou jetons non-fongibles, doivent être imaginés comme une cryptomonnaie dont chaque pièce serait unique.
Pour une cryptomonnaie classique, telle le bitcoin ou l’ethereum, le jeton est créé lors d’une opération de minage informatique.
Cette opération de minage consiste généralement pour le propriétaire d’un serveur informatique à mettre sa puissance de calcul à disposition de la blockchain, laquelle le rémunère en cryptomonnaie.
Ce calcul est fondamental, il permet d’assurer la validité et la sécurité de la chaîne de blocs, l’atout majeur des cryptomonnaies étant leur inviolabilité, leur traçabilité et leur authenticité : il est possible de savoir qui possède quoi et auprès de qui il l’a acquis.
Par la suite, la plupart des possesseurs de cryptomonnaies sont en réalité des portefeuilles de seconde main : les bitcoin ou les ether sont acquis auprès d’un mineur ou d’un autre possesseur en échange d’euros ou de dollars, par exemple.
Un bitcoin en vaut un autre, il s’agit de jetons fongibles.
Les NFT, au contraire, sont des jetons non-fongibles. Ils sont fixés dans une blockchain (souvent celle de l’ethereum), bénéficiant de son inviolabilité, sa traçabilité et son authenticité, mais ils sont tous uniques : aucun n’en vaut un autre.
Cette unicité leur confère ainsi une rareté et une valeur particulière : les NFT peuvent être collectionnés comme des cartes à jouer, ou des œuvres d’art.
Ainsi, plusieurs jeux à collectionner se sont développés à l’instar des cryptokitties ou des cryptopunks.
Pour les cryptokitties, le principe est simple, moyennant une dizaine de dollars, il est possible d’acquérir une vignette représentant un chaton numérique aux airs plus ou moins ridicules. Puis, une fois au moins deux cryptokitties possédés, le joueur peut décider de les faire se reproduire : ils génèrent alors un troisième chaton qui dispose d’une valeur propre et peut être revendu à d’autres collectionneurs de chatons.
L’aspect spéculatif de ce marché se révèle alors assez rapidement, le mois dernier plusieurs cryptokitties se sont échangés pour plus de 10 000 euros et l’un deux a été vendu plus de 100 000 euros : le plus cher jamais cédé l’ayant été pour 600 ETH, soit 1 062 554,73 euros.
Les cryptopunks fonctionnent exactement sur le même concept mais cette fois-ci les vignettes sont de petits visages accessoirisés et il en existe un nombre limité.
Le propre de ces vignettes est d’être exprimées sous la forme d’un NFT. Alors qu’un fichier image classique est un .jpg, un .png. ou un .gif infiniment duplicable, les images des cryptokitties n’ont de valeur que sous leur forme de NFT. En effet, seul le jeton non-fongible renferme toute l’unicité et l’authenticité de l’image collectionnée : et seul le NFT peut être tracé pour conférer à son propriétaire toute l’aura du collectionneur aguerri.
À l’image d’une signature électronique qui certifie un fichier .pdf, le NFT renferme à la fois le fichier numérique convoité et son certificat d’authenticité. Par ailleurs, adossé à la blockchain, la date de création, des transactions, et l’actuel portefeuille propriétaire sont publiquement traçables.
Cet horodatage caractéristique de la blockchain en fait d’ailleurs une alternative désirable à l’enveloppe Soleau permettant à l’artiste de démontrer son antériorité.[1]
Conscient de la puissance de ces caractéristiques, doublées de leur caractère spéculatif, plusieurs plateformes se sont alors proposées pour permettre aux artistes de créer les NFT de leurs œuvres.
Sur ces sites web bien nommés comme Super Rare ou Known Origin, pour 20 ou 30 euros, les prétendants déposent un fichier numérique afin d’en obtenir la signature NFT, ce précieux jeton.
À l’occasion, ils peuvent également inclure des règles supplémentaires au jeton comme par exemple un droit de suite : à chaque transaction dont le jeton fera l’objet, un pourcentage sera versé à son déposant.
Ainsi, à la fois certificat d’authenticité, solution de traçabilité, et gestionnaire de droits patrimoniaux : le jeton non-fongible renferme autant de caractéristiques du droit de propriété intellectuelle extrêmement intéressantes pour les artistes.
Une problématique majeure ternit toutefois le procédé : toutes les plateformes ne prennent pas la peine de s’assurer que le déposant du fichier numérique en est le créateur !
Ainsi, le NFT se trouve le théâtre d’un recel de contrefaçon, enrichissant le fraudeur qui s’approprie l’œuvre numérique de l’artiste floué. Le marché n’est pas un obstacle à cette fraude puisque beaucoup des investisseurs actuels ne se soucient que peu de l’œuvre renfermée par le token mais bien plus de sa valeur d’échange : tant que la supercherie n’est pas publiquement dévoilée, peu de chances que le token s’effondre.
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Les caractéristiques des NFT et leur adossement à une blockchain en font un formidable outil de valorisation de la propriété intellectuelle, toutefois ils ne prémunissent pas toujours l’auteur de l’œuvre originelle contre l’intégralité des fraudes dont il peut être victime.
Ainsi, les outils et moyens classiques de valorisation et de défense de votre propriété intellectuelle nécessitent encore d’être déployés aux côtés des nouvelles formes de protection.
Le Cabinet HAAS Avocats a été élu meilleur cabinet 2021 au palmarès Le Point et Le Monde du Droit dans les catégories Propriété intellectuelle et Droit des nouvelles technologies. N’hésitez pas à nous contacter pour étudier les solutions à votre disposition.
[1] M. Quiniou, Expertises, « La blockchain, vectrice d’effectivité des droits des artistes visuels », Novembre 2020