Par Gérard Haas et Raphaël Mourère
Depuis plusieurs mois l’offre de Non Fungible Tokens (NFT) a littéralement explosé, en volume comme en montant, n’en témoigne l’acquisition à 5,4 millions de dollars du code source du Web authentifié au travers d’un NFT, le mois de juin dernier.
Objet de collection, de spéculation, ou les deux, déjà échangeable au moyen de cryptomonnaies, le NFT ne semble encore qu’au début de son succès.
Pourtant l’émission ou le commerce de ce nouvel actif complexe requiert qu’un certain nombre de contraintes et de risques juridiques soient anticipées.
Focus sur les enjeux juridiques et commerciaux du NFT.
Le Non Fungible Token (NFT) est un certificat de propriété implémenté sur blockchain. Il correspond ainsi à la représentation informatique sur blockchain d’un élément donné.
Regroupant des informations relatives à la fois à l’élément auquel il est « adossé », ainsi qu’au propriétaire de cet élément, le NFT doit toutefois être distingué de l’élément qu’il représente.
Puisqu’il peut être adossé à un actif, qu’il s’agisse d’un élément réel tel une voiture de collection, ou d’un élément fictif tel un chat virtuel (cryptokitty), le NFT est lui-même commercialisable.
Il constitue en lui-même un bien objet de propriété.
Aussi, le déploiement d’une architecture juridique autour de cette technique permet d’en faire un levier de création de valeur économique, ce par plusieurs moyens.
Par défaut, la propriété du NFT porte sur un certificat sur blockchain, c’est-à-dire une ligne de code représentant l’élément donné, ainsi que des informations lui étant relatives. Le caractère unique de cette représentation contribue à la valorisation du token qui revêt une dimension authentifiante. Comme son nom l’indique, le NFT n’est pas fongible. Chaque NFT est en effet identifiable et distinct des autres. Il possède une empreinte propre, qu’elle lui provienne de l’élément auquel il est adossé, ou de sa propre programmation informatique intégrant des caractères distinctifs.
Si le NFT constitue un miroir de la valeur économique de l’actif auquel il est adossé, il peut également permettre de révéler cette valeur en rendant la représentation de cet actif appropriable et donc échangeable.
Néanmoins, il est possible par contrat de faire coïncider le transfert de propriété du NFT (certificat) avec celui de l’élément auquel il est adossé (actif). La vente du NFT peut emporter vente de l’actif qu’il représente, l’acquéreur devenant ainsi propriétaire du NFT et de l’élément auquel il est adossé.
Plus loin encore, un actif peut être « encapsulé » dans le NFT, c’est-à-dire que le NFT ne correspond plus seulement à une simple représentation mais traduit l’existence en tant que tel de l’actif sur la blockchain. L’actif encapsulé peut ainsi être directement acquis au moyen de l’achat du NFT sur la blockchain, on parle alors de tokenisation.
La valorisation par la technique du NFT peut encore atteindre un degré supplémentaire en ce qu’il est possible de prévoir l’encapsulement de services ou de fonctionnalités attachés à la propriété du NFT. L’acquéreur du NFT pourrait ainsi bénéficier d’avantages particuliers ou d’un accès à des fonctionnalités supplémentaires sur la blockchain.
Ainsi, le NFT renferme un important potentiel commercial, projetant le développement de nouveaux business models. Toutefois, le recours à cette technique nécessite autant une maîtrise technique que juridique, à l’heure où les opérations impliquées présentent une grande complexité juridique.
Aujourd’hui, il n’existe pas de réglementation juridique spécialement établie pour encadrer le commerce de NFT.
Le régime juridique applicable varie ainsi selon les droits que l’émetteur d’un NFT prévoit de lui attacher.
Lorsque l’acquéreur du NFT acquiert des droits opposables à des tiers, tels que l’accès à des services donnés sur la blockchain y compris l’échange du NFT contre des produits (ou le bénéfice d’une tarification préférentielle), le NFT devrait être qualifié d’« utility token ». Les utility tokens sont définis par les articles L54-10-1 et L552-2 CMF comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien. ».
Lorsque l’acquéreur du NFT acquiert des droits financiers, de sorte que le NFT présente les caractéristiques d’un instrument financier, il devrait être qualifié de « security token ». Les security tokens sont considérés comme des instruments financiers tels que définis par les articles L211-1 et D211-1 A CMF.
En tout état de cause, le NFT peut constituer un placement, dans la mesure où il est un objet de propriété susceptible de revente. Selon la complexité des droits qui lui sont attachés, la gestion du NFT en tant qu’actif peut nécessiter des compétences spécifiques et adaptées. Il en découle que le NFT peut rentrer dans la définition des « biens divers » relevant du régime de l’intermédiation en bien divers des articles L551-1 et suivants CMF.
Lors de la conception du NFT et de ses fonctionnalités, il est nécessaire d’anticiper les différentes qualifications (utility token, security token, bien divers) puisque chacune d’elles entraîne l’application d’un régime juridique fortement contraignant.
Ainsi, en cas de qualification d’utility token, le NFT constituera un actif numérique. Les services rendus au travers du NFT pourront dès lors relever des services énumérés à l’article L54-10-2 CMF, qui définit les contours du statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN). Or, l’offre de certains services sur des NFT qualifiés d’actifs numériques (conservation pour compte de tiers ; achat/vente en monnaie ayant cours légal ; échange contre d’autres actifs numériques ; exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques) mettent à la charge du prestataire une obligation d’enregistrement auprès de l’AMF. La procédure d’enregistrement s’étalant sur plusieurs mois, elle implique la constitution d’un dossier au formalisme lourd afin d’attester du respect d’un nombre important d’obligations par le prestataire. L’application du statut de PSAN peut ainsi représenter un coût non négligeable.
En ce qui concerne la qualification de security token, celle-ci implique l’application de la réglementation financière. Les services proposés relativement au NFT peuvent ainsi constituer des services d’investissement au sens de l’article L321-1 CMF, proposés par un prestataire de services d’investissement (PSI) au sens de l’article L531-1 CMF. L’exercice des services d’investissement implique l’obtention par le PSI d’un agrément auprès de l’ACPR. Ce processus nécessite également d’être anticipé compte tenu de la documentation à fournir.
Enfin, la qualification de bien divers peut impliquer l’application du régime d’intermédiation en biens divers tel que consacré aux articles L551-1 et suivants CMF. Outre des exigences relatives à la société prestataire (articles L551-2 CMF et L224-2 Code de commerce), l’intermédiaire en biens divers doit s’enregistrer auprès de l’AMF et constituer une documentation sur les opérations qu’il propose.
L’application de statuts contraignants n’est toutefois pas la seule source de difficulté qu’il convient d’anticiper. Le NFT étant intrinsèquement lié à la valeur de l’originalité de l’actif auquel il est adossé, son utilisation notamment dans le marché de l’art implique la maîtrise des droits de propriété intellectuelle attachés à l’actif. Selon la configuration du projet, le respect de droits d’auteurs ou droits voisins peut être mis en cause. La prudence est ainsi de mise lorsqu’on connaît les montants auxquels peuvent s’élever des dommages et intérêts tirés de la violation de tels droits.
Parce que les obligations qui guettent les opérateurs proposant des services relatifs à des NFT peuvent se révéler très lourdes et parce que ces opérateurs sont susceptibles de s’exposer à des risques juridiques importants, il est impératif de les anticiper dès la conception de votre projet NFT pour exploiter le plein potentiel d’une technique singulière.
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