Par Paul BENELLI
Amazon, Cdiscount, Whish, AliExpress, Alibaba, tous ces sites de e-commerce permettent à des entreprises tierces de vendre les produits proposés sur une plateforme dénommée marketplace. Constituant un levier de développement important pour les petites et moyennes entreprises, les marketplaces sont aujourd’hui considérées comme un outil essentiel dans la vie économique[1].
En novembre 2018, une étude réalisée par Amazon a démontré que 4 entreprises sur 10 en France utilisent un site d’e-commerce pour distribuer leurs produits.
Face à la propagation de ce modèle économique, les vendeurs professionnels qui s’inscrivent sur ces places de marché sont rapidement confrontés à une certaine dépendance à l’égard de ces plateformes, qui leur imposent alors leurs propres conditions contractuelles[2].
Les pouvoirs publics l’ont bien compris puisque le 26 mars 2019, le secrétaire d’Etat national chargé du Numérique avait annoncé la mise en place d’une charte de bonne conduite des plateformes envers les PME-TPE. Cette charte vise à rendre plus transparente les conditions de référencement et de déréférencement des vendeurs sur les marketplaces, à lutter contre la contrefaçon et à imposer aux plateformes une attention particulière[3].
Si aujourd’hui, le Bon Coin, Rakuten, Cdiscount, Ebay, la Fnac, Darty, La Redoute, ManoMano, Conforama, Boulanger, ont signé cette charte, il n’empêche que d’autres plateformes telles que Alibaba et Amazon s’y sont opposées.
Quelles solutions pour les PME-TPE qui sont inscrits sur ces plateformes ? Quelle protection juridique pour ces dernières ?
Le droit français répond à toutes ces questions à travers les récentes sanctions de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des juridictions.
Exerçant sa mission de protection économique du consommateur et de la libre concurrence avec conscience, la DGCCRF a la possibilité de prononcer d’importantes sanctions administratives à l’encontre de sites d’e-commerce. Rappelons qu’en 2017, cette autorité avait sanctionné pas moins de 19 sites marchands à des amendes pour un total de 2.4 millions d’euros.
C’est ainsi que la DGCCRF n’a pas hésité à user de son pouvoir d’injonction à l’encontre de certaines plateformes pour qu’elles modifient leurs conditions contractuelles. C’est dans ce contexte que Cdiscount et Rue du Commerce avaient supprimé au sein de leur politique contractuelle une clause litigieuse dite d ' « alignement tarifaire » qui imposait que les vendeurs pratiquent sur la plateforme les mêmes conditions tarifaires sur d’autres canaux de vente.
Dans certains cas, la DGCCRF peut même directement saisir les juridictions françaises comme en témoigne l’assignation par le ministre de l’Economie en juillet 2017 devant le Tribunal de commerce de Paris de plusieurs sociétés du groupe d’Amazon. A l’époque, l’enquête a décelé l’existence de clauses et de pratiques susceptibles de constituer un déséquilibre significatif, commises par Amazon dans ses relations commerciales avec des vendeurs tiers proposant leurs produits à la vente sur la place de marché de son site internet « Amazon.fr ».
Dans d’autres cas, la DGCCRF peut transmettre ses conclusions d’enquête à l’autorité de poursuite. L’exemple récent du site vente-privée.com pour d’éventuelles annonces de prix trompeuses est le plus significatif.
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Les e-commerçants qui ont recours aux places de marché peuvent faire face à des problèmes conséquents tels que la concurrence déloyale d’un concurrent vendant des produits « contrefaisants ».
Face à ce constat, la justice française n’a pas hésité à condamner certaines places de marché. C’est ainsi que le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris avait estimé dans son ordonnance conclue dans une ordonnance de référé du 21 novembre 2007 que « Alibaba.com avait la qualité d’éditeur et l’obligation de surveiller a priori la licéité de toutes les informations diffusées sur l’intégralité de son site ».
Par ailleurs, dans un jugement en date du 6 avril 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a procédé à une analyse des clauses contractuelles du contrat entre la plateforme et le marchand référencé afin de savoir si ces dernières créaient un déséquilibre significatif[2].
Enfin, par décision en date du 2 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu le déséquilibre significatif existant dans les relations contractuelles entre les Tiers Vendeurs et AMAZON. AMAZON s’est ainsi vu infliger une amende civile de 4 millions d’euros sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 III du Code de commerce devenu l’article L. 442-1 I 2°du Code de commerce.
Les conditions proposées par les marketplaces à l’égard des vendeurs peuvent constituer des pratiques anticoncurrentielles. C’est ainsi que le 4 mai 2017, la Commission Européenne avait trouvé un accord avec Amazon concernant des contrats passés avec des éditeurs imposant certaines conditions. En effet, la plateforme obligeait les fournisseurs de livres numériques à, d’une part, l’informer de l’offre de conditions plus favorables ou différentes à des concurrents et/ou, d’autre part, à lui accorder des conditions dépendant directement ou indirectement des conditions offertes à un autre revendeur de livres numériques. Faisant l’objet d’une enquête pour abus de position dominante, Amazon a dû abandonner ses clauses pour éviter une amende pouvant représenter 10% du chiffres d’affaires total de l’entreprise.
Par ailleurs, le 20 Décembre 2017 dernier, dans un arrêt désormais célèbre (Asociación Profesional Elite Taxi/Uber Systems Spain SL), la CJUE a pris le pas de considérer qu’UBER devait être considérée non plus comme un simple « intermédiaire » mais bien comme un prestataire de transport à part entière, remettant donc clairement en cause sa « neutralité » compte tenu de son immixtion dans les conditions d’exécution du contrat de transport conclu par ses utilisateurs.
Enfin, il convient de rappeler que l’Union Européenne a publié le 11 Juillet dernier le règlement P2B visant à encadrer les relations entre les services d’intermédiation en ligne et leurs utilisateurs professionnels. Par ce règlement les plateformes « BtoC » (mettant en relation des marchands professionnels avec des clients ayant la qualité de consommateur) seront soumises à de nouvelles obligations de transparence. De surcroît, les conditions contractuelles entre l’opérateur et le marchand référencé seront désormais encadrées.
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[1] «E-commerce : les TPE-PME sous-exploitent le potentiel du e-commerce», Amazon Newsroom, 8 novembre 2018
[2] Tribunal de commerce de Bordeaux, Vendredi, 6 avril 2018, n° 2017F00671