Par Gérard Haas et Eve Renaud-Chouraqui
La Présidente de l’Autorité de la concurrence l’a souligné : la décision du 7 juin 2021 est une décision historique :
« La décision sanctionnant Google a une signification toute particulière car il s’agit de la première décision au monde se penchant sur les processus algorithmiques complexes d’enchères par lesquels fonctionne la publicité en ligne display ».
Ainsi et pour la première fois, l’Autorité sanctionne Google à hauteur de 220 millions d’euros en raison de pratiques abusives mises en œuvre sur le marché des serveurs publicitaires pour les éditeurs de sites web et d’applications mobile.
Pour la première fois également, Google n’a pas contesté les faits et est entré en transaction avec l’Autorité.
Il a pris une série d’engagements, rendus contraignants par l’Autorité, qui modifieront la façon dont fonctionne son service en France, mais aussi à l’échelle mondiale.
En 2019, l’Autorité de la concurrence avait été saisie par une plainte déposée par différents groupes internationaux : NewsCorp (groupe anglo-saxon regroupant The Wall Street Journal et The Sun), Groupe Rossel la Voix (La voix du Nord, l’Union) et Groupe Le Figaro (qui s’est depuis désisté), lesquels éditent tous des sites web et des applications mobile, au sein desquels les contenus sont monétisés via la fourniture d’espaces publicitaires.
Les parties saisissantes considéraient que Google avaient mis en place un système permettant d’avantager son service au détriment tant des fournisseurs de technologies équivalentes que du rendement même de leurs inventaires publicitaires en ligne.
Le sujet est imminemment technique et nécessite de présenter le fonctionnement des technologies publicitaires utilisées par les éditeurs de sites web et d’applications mobile.
Il peut être représenté de la manière suivante :
Notons que Google est présent sur toutes les technologies display, disposant :
Ces services sont également proposés par d’autres sociétés, concurrentes de Google sur ce marché.
L’enquête menée par l’Autorité de la concurrence a démontré que Google avait mis en place des pratiques préférentielles envers ce que l’on appelle « ses technologies propriétaires ».
Ainsi, son serveur publicitaire avantageait sa plateforme de mise en vente d’espaces publicitaires et réciproquement, notamment en indiquant à la plateforme programmatique les prix proposés par les plateformes concurrentes.
Bénéficiant de cette information cruciale sur le positionnement de ses concurrentes, Google était assuré de gagner un nombre important d’enchères.
Afin de s’assurer de la pleine efficience de son système, Google avait, de manière complémentaire, mis en place une série de contraintes visant à ce que sa plateforme programmatique ne soit que partiellement interopérable avec des serveurs publicitaires concurrents.
Selon l’Autorité de la concurrence :
« Ces pratiques sont d’autant plus graves qu’elles se sont déroulées sur un marché encore émergent à forte croissance et qu’elles ont pu affecter la capacité des concurrents à se développer sur le marché. Elles ont limité, en particulier, l’attractivité des serveurs publicitaires et des SSP tierces du point de vue des éditeurs, et ont permis à Google d’accroître sensiblement sa part de marché et ses revenus, par ailleurs déjà très élevés (…).
Les pratiques n’ont cependant pas affecté seulement les concurrents. En effet, les éditeurs ont pour leur part été privés de la possibilité de faire jouer pleinement la concurrence entre les différentes SSP (…). A cet égard, des groupes de presse (…), dont le modèle économique est fortement fragilisé par la décrue des ventes d’abonnement papier et la baisse des revenus publicitaires associés, ont été tout particulièrement affectés par les pratiques de Google ».
Les abus étaient tels que Google ne les a pas contestés et a sollicité la mise en œuvre d’une transaction avec l’Autorité de la concurrence[1].
Au-delà de la sanction financière, Google a pris un certain nombre d’engagements et s’est engagée à désigner un mandataire indépendant, rémunéré par ses soins, en charge du suivi de la mise en œuvre des engagements et de rendre compte à l’Autorité de la concurrence.
Les engagements ont été rendus obligatoires par l’Autorité de la concurrence pour une durée de 3 ans.
De son côté, Google a réagi en indiquant :
« Réitérer sa promesse de ne pas utiliser les données d’autres SSP dans le but d’optimiser les enchères dans notre ad exchange d’une façon que les autres SSP ne pourraient reproduire.
Nous réaffirmons également notre promesse de ne pas partager les offres des participants aux enchères Ad Manager avec d’autres participants avant la fin d’une enchère. Nous donnerons également aux éditeurs un préavis d’au moins trois mois pour tout changement majeur nécessitant un effet de mise en œuvre important de leur part, sauf si ces changements sont liés à la sécurité ou la protection de la vie privée, ou s’ils sont exigés par la loi ».
Cette décision est, si besoin était, le témoin de l’efficacité de l’action de l’Autorité de la concurrence, laquelle a réussi à parvenir une telle décision dans un délai record de 2 ans.
Elle témoigne aussi d’un infléchissement de Google quant à son comportement sur le marché.
Doit-on y voir une prise de conscience des GAFA de leur toute puissance et la responsabilité particulière qui leur incombe ou une posture de compliance le temps de déployer d’autres pratiques critiquables sur le terrain de la concurrence saine et loyale ? L’avenir nous le dira.
***
Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département dédié à l’analyse des pratiques anti-concurrentielles et restrictives de concurrence mises en œuvre dans le domaine du digital (analyse d’impact, actions de remédiation, gestion des risques, assistance devant l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF et représentation devant les juridictions judiciaires).
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.
Pour plus d’informations ou des demandes de rendez-vous, contactez-nous ici.
[1] Art. L464-2 du code de commerce.
Cette procédure (remplaçante de la procédure de non-contestation des griefs) permet à une entreprise ne contestant pas les faits d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire, inférieure à la sanction encourue et se situant dans une fourchette proposée par le rapporteur général et donnant lieu à un accord entre les parties.