Par Haas Avocats
Le 1er mai 2023 a été marqué par des manifestations dans différentes grandes villes de France.
À la veille de celles-ci, plusieurs préfectures, telles que Lyon, Bordeaux, Paris, Nantes ou encore Tours ont autorisé par arrêté la mise en place de dispositions de vidéosurveillance par l’intermédiaire de drones.
Ces arrêtés ont conduit plusieurs associations à contester ces arrêtés dans le cadre de référés-libertés.
Pour autant, aucun des tribunaux administratifs saisis n’a suspendu un des arrêtés autorisant l’utilisation des drones par les forces de l’ordre, notamment en s’appuyant sur le décret du 19 avril 2023.
Pour rappel, ce décret relatif à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative liste précisément les situations pour lesquelles leur usage est permis.
À ce titre, à l’image du régime applicable aux ZICAD (zones d’interdiction de captation aérienne de données), le juge administratif a estimé que les besoins de l’ordre public justifient une dérogation à l’interdiction de captation de données par l’intermédiaires de drones.
Pour autant, il convient de relever que selon la décision rendue, les motifs du juge administratif pour autoriser l’utilisation des drones par les forces de l’ordre ne sont pas totalement identiques.
Comme pendant la crise du Covid-19, la juridiction administrative a été saisie dans le cadre de référé en urgence, afin de contester la légalité de l’utilisation de drones de surveillance par la police.
Pour rappel, les articles L.242-1 et suivants ainsi que l’article R242-8 du Code de la sécurité intérieur prévoient un dispositif permettant aux militaires, gendarmes, agents des douanes et forces de l’ordre de recourir notamment à des « dispositifs de captation installés sur des aéronefs ».
À ce titre, les forces de l'ordre peuvent également utiliser des drones pour assurer "la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique dans un objectif de maintenir ou de rétablir l'ordre public.
Pour autant, dans le cadre de plusieurs référés devant le tribunal administratif de Paris, de Bordeaux[1] ou celui de Rouen, les requérants ont invoqué que ce dispositif constitue une atteinte disproportionnée et manifestement illégale aux libertés d’aller et venir, de manifester, de réunion, d’expression, aux droits au respect à la vie privée et à la protection des données personnelles.
Par conséquent, malgré le dispositif prévu en matière de surveillance par drone, ils invoquaient que la zone concernée par l’autorisation était trop large et l’étendue temporelle excessive au regard de la durée et du parcours prévu pour les manifestations.
Que ce soit devant le tribunal administratif de Paris ou de Bordeaux, les requérants soulevaient également que « les articles R.242-8 et suivants du code de la sécurité intérieure fondement de l’arrêté contesté ne mettent pas correctement en œuvre les dispositions des articles L242-1 » à défaut de « doctrine d’emploi » conformément à la délibération de la CNIL du 16 mars 2023 ».
En effet, la CNIL dans son avis relatif au décret du 19 avril 2023, avait souligné l'absence, de "critères exhaustifs quant à l'enregistrement ou à la transmission d'images en temps réel" et en conséquence avait appelé à faire figurer ces éléments dans une "doctrine d'emploi" à l'usage des forces de l'ordre.
La CNIL avait par ailleurs recommandé que les manifestants soient avertis de la captation d’images par drone et "qu'une information soit donnée sur le lieu de l'opération au cours de laquelle les caméras aéroportées seront utilisées".
À ce titre, dans le cadre du référé devant le tribunal administratif de Paris, les requérants invoquaient que les mesures mises en place par ces arrêtés étaient disproportionnées « en ne précisant ni les critères commandant la transmission en temps réel ou différé des images ni ceux permettant de distinguer les situations » .
Tout d’abord, il convient de rappeler que les requérants agissaient dans le cadre d’un référé-liberté, dont le mode de saisie ne suppose la réunion de conditions cumulatives :
S’agissant de la condition de l’urgence, les tribunaux administratifs saisis dans ce contexte, ont eu une appréciation hétérogène de ces deux conditions dans le cadre de la contestation des arrêtés contestés.
En effet, si la majeur partie des juridictions administratives telles que Paris ou Rouen ont retenu l’urgence de la situation compte tenu de « la courte durée d’application » des arrêtés concernés, il convient néanmoins de relever que les tribunaux de Lyon ou encore de Bordeaux[2] ont rejeté les requêtes concernées en caractérisant le « défaut d’urgence ».
Malgré la recommandation de la CNIL dans son avis relatif au décret du 19 avril 2023, le juge administratif de Bordeaux[3] a écarté cet argument notamment au regard du risque de trouble à l’ordre public :
« les requérants, s’ils relèvent l’absence de définition d’une doctrine d’emploi des caméras aéroportées […], ne contestent pas l’objectif de garantie de la sécurité publique poursuivi par l’arrêté en débat, qui fait état des violences commises dans le centre-ville de Bordeaux en marge de divers rassemblements sur la voie publique lors des dernières journées d’actions intersyndicales contre la réforme des retraites ».
Le tribunal administratif de Paris quant à lui a écarté ce moyen de manière plus lapidaire :
« les requérants ne démontrent pas non plus que les dispositions réglementaires du code de la sécurité intérieure ne mettent pas en œuvre correctement les dispositions législative du même code intérieur à défaut de publication de « doctrine d’emploi ».
La quasi-totalité des décisions rendues par les tribunaux administratifs concernant ces arrêtés ont reconnu la proportionnalité des mesures de captation des données par l’intermédiaire de drones, au regard des risques de violences et de troubles de l’ordre public, conformément aux articles L.242-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure ainsi que l’article R242-8.
Plus précisément, le tribunal administratif de Paris justifie le recours à ce dispositif par les « risques sérieux de violences et de troubles à l’ordre public » et en ce « le recours à des caméras aéroportées permet de disposer d’une vision élargie facilitant le maintien et le rétablissement de l’ordre public liant les forces au sol démobilisé ».
De la même manière, le tribunal administratif de Rouen a souligné que : « l’usage des drones est de nature à concourir à la sécurité de la manifestation, alors que des troubles à l’ordre public ont été commis ».
Néanmoins, dans cette même décision le juge administratif a estimé que le survol par drones, autorisé dans « une large zone » et jusqu’à huit heures après le départ du cortège, « excède dans le temps et l’espace la nécessité d’assurer la sécurité de la manifestation du 1er-Mai », et porte ainsi « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir et au droit au respect de la vie privée ».
Pour ces raisons, le tribunal administratif de Rouen a limité le périmètre de survol prévu par l’arrêté concerné à certaines rues durant une période comprise entre 9 heures et 14 heures.
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[1] Tribunal Administratif de Bordeaux, ordonnance de référé du 1er mai 2023 n°2302275
[2] Tribunal Administratif de Bordeaux, ordonnance de référé du 1er mai 2023 n°2302275
[3] Tribunal Administratif de Bordeaux, ordonnance de référé du 1er mai 2023 n°2302275