Par Gérard Haas et Maxime Kubiak
Comment encadrer les pratiques numériques des mineurs d’un point de vue technique ? C’est la question à laquelle s’est attaqué le député Bruno Studer.
L’occasion de faire le point sur les dispositions de la loi, dont l’application a été repoussée.
En effet, celle-ci ne pourra être effective avant plusieurs mois, en raison d’une absence de signalement du texte à la Commission européenne, lequel est obligatoire lorsqu’une norme nouvelle vient interférer avec le principe de libre circulation[1].
Aux termes de la loi, tout fabricant d’appareil permettant de naviguer sur internet devra proposer à l’utilisateur d’activer un outil permettant de réguler la navigation des plus jeunes. Le dispositif de contrôle parental devra être installé par défaut sur tout appareil, de l’ordinateur à la télévision en passant par les montres connectées. Il appartiendra à l’utilisateur de décider s’il souhaite, ou non, activer l’outil.
Cette initiative, portée par le député macroniste Bruno Studer, soutenue par Cédric O et Adrien Taquet, a été bien accueillie par le corps législatif qui par 4 fois, a voté ce texte à l’unanimité.
La procédure accélérée avait été engagée sur ce texte par le gouvernement le 13 décembre 2021.
En premier lieu le Code des postes et des communications électroniques se voit enrichi d’un nouvel article, l’article L. 34-9-3 au titre du régime juridique applicable aux équipements radioélectriques et terminaux.
Doivent intégrer le dispositif de contrôle parental tous les équipements « permettant l’accès à des services de communication au public en ligne » et « susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des personnes mineurs ». La définition est ici relativement large et intègre donc la quasi-totalité des appareils connus (quid d’une enceinte connectée ?).
Toutefois, sont exemptés de cette obligation les appareils vendus sans système d’exploitation (usages professionnels).
L’article prévoit que ce dispositif de contrôle parental doit être proposé à l’utilisateur lors de la 1ère mise en service de l’appareil. Présent par défaut, il appartiendra à l’utilisateur de décider s’il souhaite, ou non, l’activer. Cela est valable aussi bien pour les appareils neufs que d’occasion.
Lors de cette activation, l’utilisateur pourra nécessairement renseigner des données personnelles sur le mineur, point intéressant, le texte prévoit que les données personnelles du mineur ne pourront être utilisées à des fins commerciales ou de profilage. Reste à déterminer comment cette disposition sera mise en œuvre techniquement.
Par ailleurs, la nouvelle loi impose aux fabricants de s’assurer que les systèmes d’exploitation de leurs produits intègrent bien le dispositif de contrôle parental au moment de leur mise sur le marché.
Au besoin, les mandataires et fournisseurs pourront, à la demande du fabricant, faire certifier une telle intégration.
Relevons que dans un communiqué, la Commission des affaires économiques aurait émis certaines réserves quant à « l’articulation de ce texte avec le bon fonctionnement du marché intérieur » notamment au regard de la Directive « RED » du 16 avril 2014 relative à l’harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d'équipements radioélectriques[2].
En effet, cette loi aurait une portée qui irait bien au-delà du territoire national puisque les fabricants, distributeurs et marketplaces d’Europe qui entendent revendre leurs produits sur le sol français seraient contraints de respecter les dispositions de la nouvelle loi, qui représenterait une restriction à la liberté du commerce[3].
Afin de faire respecter ces nouvelles obligations auprès des constructeurs, l’Agence nationale des fréquences (ANFR), établissement public de l’Etat à caractère administratif, est chargée du contrôle du respect des dispositions et des exigences posées par la loi (article 2 de la loi).
La procédure de contrôle du marché français s’articule autour de 4 étapes[4] :
Le constat dressé par Bruno Studer était qu’en 2019, seuls 38% des parents recouraient à un outil de contrôle parental sur les appareils de leurs enfants[5].
Par ailleurs, si l’article 6 de la loi LCEN instaurait pour les fournisseurs d’accès à internet (FAI) une obligation d’information à l’égard de leurs utilisateurs sur l’existence de tels outils, les solutions proposées étaient relativement chères et disparates (par exemple, 75eu/mois pour une ligne 5G forfait tout illimité chez SFR, ou 5eu/mois chez Bouygues).
Par ailleurs, selon un sondage IFOP mené en 2018, à 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à des contenus pornographiques.
Pour cette raison, l’article 3 de la loi ajoute à l’article 6 de la loi LCEN « sans surcoût. Un décret, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les fonctionnalités minimales et les caractéristiques techniques auxquelles ces moyens répondent, compte tenu de la nature de l’activité de ces personnes. »
D’une part, l’on comprend que l’objectif est de mieux protéger les enfants, sans surcoût pour les utilisateurs et les abonnés ; et d’autre part, de soumettre l’adoption du décret à l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’agissant des caractéristiques techniques et fonctionnalités minimales qui devront être prises en compte par les FAI.
Il s’agit ici de s’assurer que les dispositions adoptées demeureront proportionnées aux finalités envisagées sans collecte massive de données à caractère personnel.
Il est intéressant de mettre cette loi en perspective avec la consultation publique conduite par la CNIL sur les droits des mineurs dans l’environnement numérique, publiée en 2020.
Le dispositif de contrôle parental arrivait alors deuxième dans le classement des solutions formulées par les répondants.
Dans sa recommandation n°5 intitulée « Promouvoir des outils de contrôle parental respectueux de la vie privée et de l’intérêt de l’enfant » la CNIL identifie 3 finalités pour lesquelles le contrôle parental pourrait être utilisé : filtrer les contenus inappropriés, encadrer les pratiques de l’enfant, surveiller l’activité de l’enfant.
On retrouve ces éléments dans une explication de Mr Studer à l’Assemblée Nationale « Avec ce texte, nous favorisons de façon significative le recours au contrôle parental par tous les parents qui, comme moi, peuvent être, à un moment donné, perdus par le développement des nouvelles technologies et par la multiplication des appareils à configurer ».
Néanmoins, différents risques sont identifiés par la CNIL quant à l’utilisation du contrôle parental, à savoir :
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[1] EUR-Lex, « Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information »
[2] EUR-Lex, « Directive du 16 avril 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d'équipements radioélectriques et abrogeant la directive 1999/5/CE »
[3] NextInpact, « L’obligation de contrôle parental suspendue au feu vert européen », 25 février 2022
[4] Sénat, « Proposition de loi visant à encourager l'usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d'accéder à internet »
[5] Bruno Studer, « Tribune – Le contrôle parental doit s’exercer à 100% », 1 avril 2021