Par Amanda DUBARRY et Axelle POUJOL
A l’approche des élections européennes, les fausses nouvelles sont au cœur des débats. L’actualité politique de ces dernières années a en effet été marquée par l’augmentation notable des fakes news et le risque que celles-ci influent de façon significative sur le scrutin apparaît réel.
Face à ce phénomène, le gouvernement français a imposé de nouvelles obligations aux plateformes, qui ont décidé d’entrer en résistance. Décryptage.
La loi contre la manipulation de l’information[1], dite « loi anti-fake news », a été promulguée fin 2018 et comporte trois axes principaux :
Le CSA a notamment le pouvoir de suspendre temporairement la diffusion en France d’une chaîne de télévision contrôlée ou placée sous influence d’un Etat étranger le temps de la période électorale[2] ;
La loi instaure une nouvelle procédure au sein du Code électoral : en période électorale, c’est-à-dire durant les 3 mois précédant une élection générale, le juge des référés pourra être saisi afin de faire cesser la diffusion de fausses informations sur les services de communication au public en ligne, lorsqu’elles sont de nature à altérer la sincérité du scrutin[3]
Les plateformes ont désormais l’obligation de mettre à disposition des internautes un dispositif leur permettant de signaler des fausses informations. Par ailleurs, une obligation de transparence impose désormais aux plateformes :
- De fournir à l'utilisateur une information loyale, claire et transparente sur l'identité de la personne physique ou de la personne morale et de celle pour le compte de laquelle, le cas échéant, elle a déclaré agir, qui verse à la plateforme des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général ;
- De fournir à l'utilisateur une information loyale, claire et transparente sur l'utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la promotion d'un contenu d'information se rattachant à un débat d'intérêt général ;
- De rendre public le montant des rémunérations reçues en contrepartie de la promotion de tels contenus d'information lorsque leur montant est supérieur à un seuil déterminé.
Ces nouvelles obligations sont prévues à l’article L163-1 du Code électoral, qui prévoit la mise à disposition de ces informations dans un registre ouvert au public et régulièrement mis à jour.
Un premier décret d’application de la loi, publié le 11 avril dernier[4], est venu préciser les contours de la législation. Ainsi, seules les plateformes dépassant le seuil de cinq millions de visiteurs uniques par mois (chiffre « calculé sur la base de la dernière année civile ») sont concernées par cette obligation de transparence.
Par ailleurs, le décret précise que les informations à fournir doivent être « précisées à proximité de chaque contenu d'information se rattachant à un débat d'intérêt général » et que le registre ouvert au public contenant toutes ces informations devra être « directement et aisément accessible à partir de toutes les pages du site qui comportent des contenus d'information mentionnés à l'article L. 163-1 (du code Electoral) ou qui donnent accès à de tels contenus »
Certaines plateformes, jugeant ces obligations trop contraignantes, ont opéré un changement de stratégie afin de s’y soustraire.
C’est tout d’abord Twitter, opérateur du réseau social du même nom, qui a lancé le mouvement : afin de ne pas se soumettre aux obligations de la loi anti-fake news, l’opérateur a décidé d’empêcher toute publicité ciblée vers la France concernant les élections européennes. Annonçant ses craintes d’enfreindre la loi anti-fake news, l’opérateur a notamment refusé de diffuser une campagne du ministère de l’intérieur destinée à inciter les citoyens à voter aux prochaines élections européennes[5].
Après des négociations entre le gouvernement et l’opérateur, ce dernier est finalement revenu sur sa position et a accepté de diffuser cette campagne, jugée non pas comme une campagne politique mais comme une campagne d’information publique[6].
Dans la même lignée, Google a également décidé de bannir les contenus « faisant la promotion de contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général » afin de ne pas entrer dans le champ d’application de la loi. L’entreprise a donc modifié ses conditions générales d’utilisation en ce sens et bannit tous les contenus relatifs aux élections européennes d’ici le scrutin le 26 mai prochain[7].
Cependant, tirant les leçons de l’affaire entre Twitter et le gouvernement français, Google a conservé une exception et accepte toujours de faire la promotion « d’annonces d’informations neutres sur les élections, diffusées par les organes officiels de communication du gouvernement »[8].
Les plateformes, en interdisant la diffusion de l’ensemble des contenus concernés, ont trouvé le moyen de se soustraire aux obligations nouvelles prévues par la loi anti-fake news. Si cette stratégie n’est pas juridiquement contestable, elle engendre et relance le débat sur le rôle des plateformes dans le contrôle de l’information et de sa diffusion : nouveaux censeurs du 21ème siècle ? Affaire à suivre…
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[1] Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information
[2] Art. 33-1-1 de la Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
[3] Art.L163-2 du Code Electoral
[4] Décret n° 2019-297 du 10 avril 2019 relatif aux obligations d'information des opérateurs de plateforme en ligne assurant la promotion de contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général
[5] https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/twitter-bloque-une-campagne-du-gouvernement-appelant-a-voter-aux-elections-europeennes-au-nom-de-la-loi-sur-les-fake-news_3261911.html
[6] http://www.leparisien.fr/politique/loi-anti-fake-news-twitter-autorise-finalement-la-campagne-du-gouvernement-04-04-2019-8046261.php
[7] https://www.bfmtv.com/tech/loi-anti-fake-news-google-interdit-les-publicites-politiques-jusqu-aux-europeennes-1674410.html
[8] https://support.google.com/adspolicy/answer/6014595?hl=f