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Locations de courte durée : la CJUE pose un obstacle au modèle d’AirBnB

Rédigé par Gérard HAAS | Oct 27, 2020 8:17:17 AM

Par Gérard HAAS et Paul BERTUCCI 

 

A propos de CJUE, 22 septembre 2020, affaires C-724/18 et C-727/18

 

Effectuées à travers des plateformes de réservation comme AirBnB, les locations de courte durée ont pour conséquence d’entraîner une pénurie de logements destinés à une location durable et influent ainsi sérieusement sur la hausse des loyers dans les grandes villes.

Pour lutter contre cela, l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation prévoit pour les communes de plus de 200 000 habitants et trois départements limitrophes de Paris que : le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage soumis à autorisation préalable. A défaut d’autorisation délivrée par le maire, le bailleur s’expose à une lourde sanction pécuniaire.

 

Ce même régime d’autorisation préalable est encadré par une directive européenne 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur, texte qui soumet les Etats membres à des conditions particulièrement strictes.

 

Saisie d’une question préjudicielle de la Cour de cassation dans une affaire opposant deux bailleurs professionnels à la ville de Paris, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devait dès lors statuer sur la compatibilité de la réglementation française en cause avec ladite directive.

Par un arrêt rendu le 22 septembre 2020, les juges européens ont considéré que le droit français était conforme à la directive et justifié dans un cadre de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée.

1. La décision de la CJUE

Condamnés en première instance et en appel pour avoir loué leurs appartements parisiens sans autorisation et de manière répétée sur AirBnB, les deux bailleurs avaient formé un pourvoi en cassation.

Ces derniers estimaient que le régime français d’autorisation préalable était contraire à la directive 2006/123/CE, texte qui ne permet aux États membres de soumettre des activités de service à un régime d’autorisation que si :

  • le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

  • la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;

  • l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle (article 9 de la directive).

A cela, la CJUE répond que :

  • le régime français d’autorisation préalable est limité à une activité spécifique de location, ce qui exclut de son champ d’application les logements qui constituent la résidence principale du loueur. De plus, cette autorisation préalable étant de portée géographique restreinte, la réglementation française est donc proportionnée à l’objectif poursuivi.

  • la réglementation française vise à établir un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, avec pour objectif de répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur les marchés immobiliers, ce qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général.

  • l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante car un contrôle a posteriori ne permettrait pas de freiner immédiatement et efficacement la poursuite du mouvement de transformation rapide qui crée une pénurie de logements destinés à la location de longue durée.

De surcroît, la directive énonce en son article 10 que les régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que ce pouvoir ne soit pas utilisé de manière arbitraire, ces mêmes critères devant être :

  • non discriminatoires ;
  • justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général ;

  • proportionnels à cet objectif d’intérêt général ;

  • clairs, non-ambigus et objectifs ;

  • rendus publics à l’avance, transparents et accessibles.

La Cour de justice procède à une analyse de ces critères au regard de la situation et considère comme suit que :

  • en ce qu’ils encadrent les modalités de détermination au niveau local des conditions d’octroi des autorisations prévues par un régime adopté au niveau national, ces critères sont justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général.

  • l’article L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation qui prévoit la faculté pour les communes concernées d’assortir l’octroi de l’autorisation sollicitée d’une obligation de compensation sous la forme d’une transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, au regard d’un objectif de mixité sociale et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements apparaît proportionnel au regard de la directive.

Cependant, la CJUE tempère ce point et considère qu’il appartient aux juridictions nationales de :

- vérifier si cette faculté répond à une pénurie de logements destinés à la location de longue durée constatée sur le territoire de ces communes ;

- s’assurer que cette même faculté s’avère adaptée à la situation du marché locatif local et qu’elle est également compatible avec l’exercice de l’activité de location ;

- prendre en considération la sur-rentabilité généralement constatée de cette activité locative par rapport à la location de locaux destinés à l’habitation résidentielle, ainsi que les modalités pratiques qui permettent de satisfaire à l’obligation de compensation dans la localité concernée.

  •  le fait que la réglementation française ne définisse pas la notion de « location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » ne constitue pas une méconnaissance de ces critères, à la condition toutefois que les autorités locales concernées précisent cette notion d’une manière claire, non-ambiguë et objective.
  • enfin, pour que les exigences de publicité préalable, de transparence et d’accessibilité des conditions d’octroi des autorisations soient réunies, il suffit que tout propriétaire souhaitant louer un local meublé à usage d’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile soit en mesure de prendre au préalable pleinement connaissance des conditions de délivrance d’une autorisation et de l’éventuelle obligation de compensation prévues par les autorités locales concernées, ce que permettent l’affichage des comptes rendus des séances du conseil municipal en mairie et sur le site Internet de la commune.

2. La portée de la décision de la CJUE

Attendue de longue date, la décision de la CJUE constitue un revers important pour ce type de plateformes dans la mesure où des sociétés comme AirBnB et leurs hôtes vont être contraints de se mettre en conformité avec les réglementations européennes et nationales.

La solution retenue s’avère par conséquent préjudiciable au modèle économique d’AirBnB, puisque de nombreux bailleurs pourraient in fine se rediriger vers de la location longue durée en raison de règles trop contraignantes.

Pour conclure, cet arrêt permet de rappeler que dans un contexte tendu entre les géants américains de la tech et la Commission européenne, l’UE et ses Etats membres demeurent souverains et peuvent parfaitement encadrer de telles activités afin de protéger leurs intérêts économiques.

 

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