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Liberté d'expression : Quand devient-elle une infraction ?

Rédigé par Haas Avocats | Feb 6, 2025 4:27:20 PM

Par Haas Avocats

La liberté d’expression, bien que fondamentale, est soumise à des limites essentielles pour garantir son application juste et équilibrée. Cette thématique a déjà fait l’objet de précédents articles notamment en cas de diffamation de l’image d’une entreprise mais aussi en cas d’actions militantes.

Le sujet se retrouve à nouveau au centre des discussions en raison d’une nouvelle décision mettant en cause le contrôle de proportionnalité opéré par les juges pour les délits d’entrave à la circulation et de dénonciation calomnieuse.

Quelles sont les limites légales de la liberté d’expression ?

La liberté d'expression, bien que protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme[1], n'est pas sans limites.

À quel moment une accusation devient-elle une dénonciation calomnieuse ?

Parmi ces restrictions figure la dénonciation calomnieuse, qui possède une définition qu’il convient de bien appréhender. 

Il s’agit d’une infraction pénale, classée dans la catégorie dite des délits, qui consiste à porter à la connaissance de l’autorité intéressée un fait répréhensible en sachant que ce fait est inexact et qu’il va exposer autrui à un risque de sanction[2].

À cet égard, la dénonciation calomnieuse peut être mise en parallèle avec une autre infraction prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse[3] à savoir la diffamation

Ces deux infractions impliquent toutes les deux la mise en porte à faux d’autrui, toutefois elles se distinguent au niveau de la nature des propos :

  • Pour la dénonciation calomnieuse, il faut que le fait dénoncé soit inexact afin de pouvoir constituer l’infraction ;
  • Pour la diffamation, s’il est nécessaire que le propos porte atteinte à la réputation et l’honneur de la personne visée pour être caractérisé, il existe une exemption pour l’auteur, celle de l’exception de vérité. Dans ce cas, si le propos litigieux est véridique, alors l’auteur des propos ne sera pas condamné

Nota : Dans les deux cas, l’intention de l’auteur va avoir son incidence. En effet, pour ce qui est de la dénonciation calomnieuse, l’auteur doit avoir eu conscience du caractère inexact des propos pour être condamné. Pour ce qui est de la diffamation, l’auteur des propos pourra toutefois renverser la présomption de son intention coupable en justifiant notamment de sa bonne foi, laquelle nécessite la réunion de quatre éléments : (i) la légitimité du but poursuivi, (ii) l’absence d’animosité personnelle, (iii) la prudence et la mesure dans l’expression et (iv) la vérification des sources.

 

Dans une affaire récente[4], un homme, d'abord poursuivi pour harcèlement moral, a finalement été condamné pour dénonciation calomnieuse. Le tribunal lui a infligé une peine de quatre mois de prison avec sursis et une amende de 3 000 €, destinée à compenser le préjudice moral causé aux deux victimes.

Les faits reprochés ? Dans plusieurs courriers, il avait accusé deux experts judiciaires de graves méfaits : les qualifiant de « parjures et corrompus », il leur prêtait des agissements « occultes » et « sous influence » dans des affaires qu'il avait initiées. Il allait jusqu'à affirmer que leurs rapports étaient « intentionnellement relatés » et destinés à « couvrir des malversations » au détriment de sa tante.

Ce cas illustre les dérives possibles lorsqu’on franchit les limites de la liberté d’expression pour proférer des accusations graves et infondées.

 

Militantisme et entrave à la circulation : où placer la limite ?

Dans une autre affaire[5] quinze membres du collectif Handi Social ont été condamnés pour des actions, selon eux, menées en faveur des droits des personnes handicapées. Les sanctions, allant de 750 à 1 200 € d’amende avec sursis, ont été légèrement plus lourdes pour la présidente de l’association, condamnée à 2 000 € d’amende, dont 1 400 € avec sursis.

Deux événements étaient en cause :

  • Le 24 octobre 2018, l’occupation d’une voie ferroviaire, qui a retardé d’un peu plus d’une heure un TGV reliant Toulouse à Paris, affectant 500 passagers.
  • Le 14 décembre 2018, l’envahissement des pistes de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, qui a paralysé le trafic aérien pendant environ une heure, causant des perturbations pour 1 857 passagers, entre vols déroutés, annulés ou retardés.

Cette affaire met en lumière un débat récurrent : la défense d’une cause qui nous paraît juste peut-elle justifier que l’on franchisse les limites du droit ?

Comment la Cour de cassation évalue-t-elle la proportionnalité des sanctions ?

Le contrôle de proportionnalité est un principe clé permettant aux juridictions d’évaluer si une mesure ou une sanction porte atteinte à un droit fondamental de manière justifiée et équilibrée.

Il vise à garantir que toute restriction d’un droit—en particulier la liberté d’expression—reste légitime et ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire. Le contrôle de proportionnalité se décompose généralement en trois étapes :

  • L’adéquation : la mesure doit être propre à atteindre l'objectif poursuivi.
  • La nécessité : il ne doit pas exister d'autre solution moins attentatoire aux droits en cause pour atteindre le même objectif.
  • La proportionnalité au sens strict : le bénéfice attendu de la mesure doit l'emporter sur les atteintes causées aux droits fondamentaux.

La Cour de cassation a saisi l’occasion des deux affaires précédemment expliquées pour préciser un aspect déterminant : la nécessaire application par les juges du contrôle de proportionnalité dans des cas comme ceux-ci – à savoir l’entrave à la circulation ou la dénonciation calomnieuse.

Ce contrôle de proportionnalité a un objectif : veiller à appliquer une juste mise en balance entre d’une part la défense de revendications notamment sociales et d’autre part le respect des règles de droit qui doivent s’appliquer à tous.

Ce type de décision met en lumière une tension constante : jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause sans empiéter sur les droits des autres ?

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données ou dans l’implémentation ou la mise à jour de leur procédure d’alerte professionnelle. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

 

[1] La Convention européenne des droits de l’homme (version intégrale) - Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les jeunes

[2] Article 226-10 du Code pénal

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006419790

[4] Crim. 8 janv. 2025, FS-B+R, n° 23-84.535

[5] Crim. 8 janv. 2025, FS-B+R, n° 23-80.226