Par Frédéric PICARD et Lucie BRECHETEAU
Par un arrêt rendu le 8 juillet 2020, la Chambre sociale de la Cour de cassation a consolidé sa jurisprudence relative aux libertés et droits fondamentaux du salarié dans l’entreprise, en se prononçant sur le sort du lanceur d’alerte en cas de faits dénoncés non établis.
Depuis plusieurs années, le législateur est intervenu pour protéger les salariés qui dénoncent des faits répréhensibles dont ils ont connaissance dans le cadre de leurs fonctions.
A ce titre, l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, introduit par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 20131, dispose notamment qu’aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont [elle] aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ». D’ailleurs, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de cet article est sanctionné par la nullité en vertu de l’article L.1132-4 du même Code.
Dans ce contexte, la Haute juridiction a considéré que le salarié ayant témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
1. Les faits et la procédure
En l’espèce, un salarié exerçant les fonctions de vérificateur-vendeur pour une société commercialisant des extincteurs avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave.
Il lui était reproché, d’une part, d’avoir dénigré l’entreprise à travers des courriers adressés au Directeur de région dans le cadre de la contestation d’un avertissement, en évoquant des pratiques d’escroquerie et d’abus de confiance.
D’autre part, l’entreprise considérait que la plainte déposée contre le Responsable de l’agence n’avait que pour seule finalité de déstabiliser la structure.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes. Puis, pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, la Cour d’appel de Besançon a tout d’abord estimé que les allégations contenues dans les courriers n’étaient pas établies et qu’elles constituaient, par leur caractère outrancier, un excès à la liberté d’expression.
S’agissant de la plainte, les juges du second degré ont retenu que le salarié ne pouvait sérieusement plaider la bonne foi, dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser l’entreprise et son fonctionnement.
Débouté de ses prétentions, le salarié a formé un pourvoi en cassation.
2. La portée de la décision de la Cour de cassation
L’intérêt de la décision rendue par la Haute Cour le 8 juillet 2020 est double : elle permet de préciser la jurisprudence relative à la liberté d’expression du salarié, tout en précisant la protection inhérente au statut de lanceur d’alerte. Ces règles, bien que majeures dans le cadre de la relation de travail, demeurent particulièrement difficiles à appréhender en pratique.
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La liberté d’expression du salarié réaffirmée
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Pour fonder sa décision, les juges de la Chambre sociale ont tout d’abord rappelé l’importance de la liberté d’expression, liberté fondamentale dont jouit pleinement le salarié dans le cadre de ses fonctions2.
A ce titre, l’article L. 1121-1 du Code du travail précise que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Seul un abus dans la jouissance de la liberté d’expression peut justifier un licenciement fondé sur ce motif. Notons toutefois qu’en pratique, toute la difficulté réside dans le fait d’identifier les situations concrètes dans lesquelles les propos tenus par le salarié sont susceptibles de caractériser un abus et, par conséquent, de justifier une sanction. Il est donc nécessaire d’apprécier l’abus au regard des fonctions du salarié et de l’activité de l’entreprise.
En l’espèce, les courriers litigieux avaient été adressés par le salarié pour contester deux avertissements, l’un lui ayant été notifié au motif d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution des tâches chez le client. C’est dans ce cadre que le salarié avait répliqué en dénonçant certaines pratiques de l’entreprise, telles que le remplacement de pièces non défectueuses, le changement d’extincteurs n’ayant pas lieu d’être remplacés, ou encore la surfacturation ou la facturation de pièces non changées.
Si la Cour d’appel avait, pour sa part, considéré que ces allégations constituaient par leur caractère « outrancier un excès à la liberté d’expression », la Haute juridiction a quant à elle souligné que les propos du salarié n’étaient pas susceptibles de caractériser un abus dans la liberté d’expression, dès lors que les termes utilisés ne présentaient aucun caractère injurieux, diffamatoire ou excessif.
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La protection du lanceur d’alerte consolidée
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Au visa de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle qu’« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
Ici, la difficulté réside dans la capacité à identifier précisément les éléments constitutifs de la mauvaise foi.
Pour la Cour de cassation, la mauvaise foi doit résulter de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Or en l’espèce, l’employeur n’a pas apporté la preuve que les propos dénoncés par le salarié étaient faux, et l’absence de poursuites pénales n’est pas suffisante pour caractériser la mauvaise foi du salarié.
Ainsi dans sa décision, la Haute Cour semble affirmer que la protection liée à la dénonciation de faits qui se révèlent faux ne tombe que si le salarié a agi de mauvaise foi, c’est-à-dire en connaissance de la fausseté des faits dénoncés. Sa mauvaise foi ne peut en aucun cas être déduite du seul fait que les faits dénoncés ne sont pas établis.
L’arrêt du 8 juillet 2020 s’inscrit dans une logique de consolidation de la jurisprudence tendant à protéger la liberté d’expression du salarié et reprend le critère de bonne foi applicable aux délits de diffamation et d’injures, tout en s’inscrivant dans le cadre juridique de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 20163, dite « loi Sapin II » visant à protéger le statut du lanceur d’alerte dénonçant des faits qu’il croit répréhensibles, même s’il s’avère qu’il se trompe, de bonne foi. Les entreprises devraient donc respecter un « droit à l’erreur » octroyé à chacun des salariés.
Cette décision parait critiquable en ce qu’elle expose les employeurs à des manœuvres salariales, qui sous-couvert de la loi Sapin II, seront difficilement condamnables devant les juridictions. C’est pourquoi, l’enquête menée dans le cadre de l’alerte est d’une importance fondamentale puisqu’elle aura pour objet non seulement d’établir la véracité des faits dénoncés ou non mais de déterminer le degré de connaissance du lanceur d’alerte sur les faits reprochés.
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1 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
2 En ce sens : Cass. Soc. 28 avr. 1988.
3 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.