Levée d’anonymat : que changerait la proposition de loi SREN ?

Levée d’anonymat : que changerait la proposition de loi SREN ?
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Par Haas Avocats

Le débat sur l’anonymat en ligne est sous le feu des projecteurs alors que le projet de loi pour réguler et sécuriser l’espace numérique est en cours de discussion devant l’Assemblée Nationale (dit projet de loi SREN).

 

Ce projet de loi est en effet ambitieux puisqu’il entend apporter de nouvelles mesures visant notamment à :

  • permettre la mise en œuvre d’un filtre de cybersécurité anti-arnaque,
  • renforcer les sanctions des personnes condamnées pour cyberharcèlement,
  • renforcer le contrôle de l’âge des personnes accédant à des sites pornographiques pour en protéger les mineurs,
  • restaurer l’équité commerciale sur le marché du cloud et bien d’autres.

Penchons-nous sur quelques mesures phares autant que controversées.

Protection des mineurs et référentiel technique

Concernant plus précisément le cas de la protection des mineurs (Titre Ier du projet de loi), notamment quant à leur accès à des contenus pornographiques, le projet de loi dans sa rédaction du 21 septembre 2023, donne à l’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique (l’ARCOM) le pouvoir d’établir, avec avis de la CNIL un « référentiel déterminant les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de communication au public en ligne qui mettent à disposition du public des contenus pornographiques ».

 

La question se pose alors de savoir quelles seraient les « caractéristiques techniques » d’un tel référentiel ?

 

En effet, sous couvert de la noble cause de la protection des mineurs, l’opposition craint qu’un tel référentiel ne participe à la fin de l’anonymat en ligne sans régler le problème de l’éducation des jeunes quant à la sexualité en application des dispositions du Code de l’éducation et en violation avec les règles de droit européen.

 

Pour autant, les amendements relatifs à ce référentiel, visant soit à le supprimer complètement soit à préciser de manière exhaustive lesdites caractéristiques techniques (pour en exclure notamment la reconnaissance faciale ou les données biométriques) ont été rejetés.

Identité numérique et réseaux sociaux

Dans le Titre II du projet de loi, afférant à la protection des citoyens dans l’environnement numérique, un article 4 AC prévoit que « l’État se fixe pour objectif que 80% des français dispose d’une identité numérique au 1er janvier 2027 et près de 100% d’entre eux au 1er janvier 2030 ».

 

Interrogé sur la question, le Député Paul MIDY, rapporteur en charge du projet de loi SREN, assume l’ambition de la généralisation d’une identité numérique propre à chaque internaute pour faire cesser le « sentiment d’impunité » qui découle de l’anonymat en ligne.

 

À cet égard, était proposé l’un des amendements les plus controversés relatif à la mise en œuvre d’ici 2030 d’une procédure de certification, assuré par un tiers de confiance, générant pour chaque internaute souhaitant créer un compte sur un réseau social un code propre à celui-ci (à l’image d’une plaque d’immatriculation de véhicule).

 

Ledit code aurait été la seule information dont disposerait le réseau social en question, de sorte que, en cas de procédure de levée d’anonymat, les autorités publiques réquisitionnerait la communication du code lié au compte litigieux, et seraient les seules habilités à faire le lien avec la personne physique derrière le compte, potentiellement à l’origine d’un contenu illicite[1].

 

Cet amendement aurait sonné la glas de l’anonymat en ligne, ce qui, pour les défenseurs des libertés publiques dont une partie de l’Assemblée Nationale et du Gouvernement, risquait de gravement contrevenir aux règles de l’Union Européenne et notamment de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

 

À ce jour, le projet d’amendement a été retiré devant l’Assemblée Nationale malgré son adoption par le Sénat : les arguments d’intrusion et de répression ont été entendu, tandis que la création d’une identité numérique pour tous les français d’ici 2027 reste d’actualité au titre du projet de loi SREN.

Conséquences des dispositions en projet sur la procédure de levée d’anonymat

Concernant plus concrètement les modalités pour les justiciables d’obtenir la levée de l’anonymat de personnes ayant porté atteinte à leur réputation ou à leur honneur, le projet de loi dans sa rédaction actuelle ne semble pas modifier la procédure telle que nous la connaissons.

Procédure de levée d’anonymat aujourd’hui

Pour mémoire, l’article 6-I-8 de la LCEN permet aujourd’hui de saisir le tribunal judiciaire d’une procédure accélérée au fond afin d’obtenir la mise en œuvre de mesures susceptibles de prévenir un dommage ou de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

 

Typiquement, il est possible d’assigner un acteur comme Google ou Meta devant le tribunal judiciaire de Paris pour lui ordonner de supprimer ou déréférencer un contenu illicite, ou de communiquer les données d’identification de l’auteur des propos (ou du titulaire du compte depuis lequel les propos ou le contenu litigieux a été publié)

 

Pour autant, depuis la dernière réforme datant du 31 juillet 2021, les textes et plus particulièrement l’article 6-II de la LCEN font référence au Code des postes et des communications électroniques (article L34-1).

 

Cet article prévoit un régime de conservation des données d’identification uniquement pour les besoins des procédures pénales et de la lutte / prévention contre la criminalité grave ou les atteintes à la sécurité publique.

 

La jurisprudence française[2] a confirmé par ailleurs que les dispositions de l’article 6 de la LCEN étaient strictement limitées aux besoins de la procédure pénale, excluant nominativement les besoins de la procédure civile (interprétation restrictive).

Procédure de levée d’anonymat si le projet de loi pour la sécurité et la régulation de l’espace numérique est adopté tel quel 

Si la proposition de loi SREN a vocation à modifier certaines dispositions de l’article 6 de la LCEN (en créant notamment une section dédiée aux dispositions relatives à l’autorité judiciaire), ces modifications n’apportent pas, à ce stade, de changement par rapport à la procédure de levée d’anonymat telle qu’elle existe à ce jour.

 

En effet, la nouvelle rédaction proposée fait toujours référence à l’article L34-1 du Code des postes et des communications électroniques qui limite donc la conservation des données (et la levée d’anonymat) aux besoins de la procédure pénale.

 

Par ailleurs, les entreprises victimes de campagnes de dénigrement ou de faux avis n’ont toujours pas réellement de solution judiciaire pour se défendre si ces campagnes sont menées par des internautes anonymes. Or, la réputation digitale des entreprises est un enjeu d’ampleur pour leur activité économique, dans un monde où la chaine de valeur repose plus que jamais sur les avis clients.

 

Les débats étant encore en cours, l’espoir demeure quant à l’adoption de mesures intégrant à part entière la protection des entreprises dans l’espace numérique.

 

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[1] Proposition d’amendement N°CS905

[2] Cour d’Appel de Paris, 18 février 2022 ; TJ Paris, 5 avril 2022 n°22/51558 ; Cour D’appel de Paris, 27 Avril 2022 n°21/14958

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