Les limites de la liberté d’expression des associations de défense des animaux

Les limites de la liberté d’expression des associations de défense des animaux
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Par Gérard Haas et Claire Benassar

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme[1]. Aussi, parmi d’autres normes internationales[2] et européennes[3], l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) précise que toute personne a droit à la liberté d’expression.

Ce droit comprend notamment la liberté de communiquer des informations et idées, sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorité publique et sans considération de frontière.

La jurisprudence considère en outre que si la liberté d’expression vaut pour les informations et idées, elle vaut aussi pour les idées qui heurtent, qui sont également protégées au nom de cette liberté en raison de leur valeur informative[4].

A ce titre, nombre d’associations de défense des animaux diffusent du contenu en ligne visant à informer sur des conditions d’élevage qu’elles estiment abusives. Plusieurs décisions récentes sont venues préciser la liberté d’expression de ces associations et les limites auxquelles elle peut toutefois se heurter.

La restriction des missions de la cellule Déméter

Le 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris a rendu sa décision concernant deux recours qui avaient été déposés contre la cellule Déméter.

Créée au sein de la gendarmerie nationale le 3 octobre 2019 par le ministère de l’intérieur, elle a pour mission le suivi des atteintes au monde agricole. A ce titre, la cellule a été chargée de prévenir, d’une part, des infractions pénales (vols, dégradations, etc.) et, d’autre part, des actions qui ne constituent pas en elles-mêmes des infractions pénales et ne renvoient pas directement à une qualification pénale. Concrètement, sont ici visées les actions « de nature idéologique » pouvant consister en de « simples actions symboliques de dénigrement » telles que les « intrusions visant des exploitations agricoles ou des professionnels de l’agro-alimentaire aux fins d’y mener des actions symboliques », les « actions anti-fourrures » et les « actions menées par certains groupes antispécistes vis-à-vis du monde de la chasse » [5].

Le 29 juillet 2020, l’association L214 avait demandé au ministre de l’intérieur de dissoudre la cellule Déméter ; face à un refus implicite, elle a saisi le tribunal aux fins de voir annuler cette décision et de dissoudre la cellule, en raison des « graves atteintes à la liberté d’expression » que ses missions entrainaient [6].

Estimant que certaines missions de la cellule Déméter étaient illégales, puisque ne relevant pas des compétences de la gendarmerie telles que définies à l’article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure, la juridiction a demandé au ministère de l’Intérieur « de faire cesser les activités » de prévention des « actions de nature idéologique » de la cellule Déméter dans un délai de deux mois sous peine d’une astreinte de 10.000 euros par jour.

La mise en balance du droit à l’information et du droit de propriété

Parallèlement, au lendemain de la décision du tribunal administratif de Paris, la Cour de cassation [7] a annulé la condamnation de l’association anti-élevage DXE [8] qui s’était introduite sans autorisation dans une exploitation porcine en mai 2019 pour y dénoncer l’élevage intensif en diffusant des vidéos sur les réseaux sociaux.

Le propriétaire de l’exploitation avait à l’époque porté plainte contre l’association pour violation de son droit de la propriété, et pour violation de domicile, atteinte à la vie privée et atteinte à la réglementation sanitaire en matière d’élevage porcin.

Débouté en première instance [9], le demandeur avait finalement obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Rennes en mars 2020 [10], dont la décision retenait notamment l’atteinte à son droit à la propriété. La Cour de cassation est toutefois revenue sur cette condamnation, estimant que la cour d’appel aurait dû faire la balance entre deux droits fondamentaux reconnus par la CEDH, à savoir le droit à l’information et le droit de propriété, afin de protéger l’intérêt le plus légitime.

Entre temps, en novembre 2021, la cour d’appel de Rennes a également condamné l’association L214, en raison de la diffusion par l’association d’une vidéo filmée sans autorisation dans un élevage, laquelle « n’a pu être obtenue que par la commission d’une voie de fait de sorte que sa détention et sa divulgation constituent en elles-mêmes un trouble manifestement illicite ».

Dans cette affaire, L214 s’est également pourvue en cassation. En effet, et à l’heure où la proposition de loi visant à une meilleure protection des lanceurs d’alerte peine à aboutir, l’association considère la décision de la cour d’appel « très inquiétante », puisqu’incitant à la dénonciation de ses lanceurs d’alerte, qu’elle estime au contraire devoir protéger.

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[1] Article 11, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

[2] Article 19, Déclaration universelle des droits de l'homme ; article 19, Pacte international relatif aux droits civils et politiques

[3] Article 11, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

[4] Cour EDH, 21 septembre 1999, Fressoz & Roire c/ France

[5] Dossier de presse du ministère de l’intérieur diffusé le 13 décembre 2019

[6] Le second recours devant le tribunal administratif de Paris est celui des associations Pollinis France et Générations Futures, tendant à l’annulation de la convention instituant un partenariat entre le ministère et deux syndicats agricoles. Faute d’établir que la convention serait susceptible de léser leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine, la requête des deux associations a été rejetée.

[7] Cass, 1ère Civ, 2 février 2022, n° 20-16.040

[8] Aujourd’hui dénommée « Red Pill »

[9] TGI Saint Brieuc, référé, 3 octobre 2019

[10] CA Rennes, 1ère chambre, 25 janvier 2022, n° 19/06749

Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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