Par Kate Jarrard et Marussia Samot
A propos de l’arrêt : Cour de cassation, chambre criminelle, 30 mars 2021, n°20-84.116
Utile aux enquêtes, le fichier TAJ fait pourtant l’objet d’opinions controversées et est critiqué à de nombreux niveaux.
Toutefois, pour l’heure, peu de décisions de justice ont été rendues à son sujet.
Or, le 30 mars dernier, la Cour de cassation est venue rappeler que les droits de la défense, incluant le principe du contradictoire, s’appliquent aux procédures relatives aux demandes d’effacement de données du fichier TAJ.
Le TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires) est un fichier commun à la police et à la gendarmerie recensant des informations issues d’affaires pénales concernant les personnes mises en cause et victimes d’infractions, et visant notamment à faciliter la constatation d’infractions.
Depuis 2018, les personnes mises en cause dans des procédures pénales peuvent demander la rectification, l’effacement ou l’apposition d’une mention ayant pour effet de rendre les données inaccessibles dans le cadre de la consultation du TAJ lors d’enquêtes administratives au procureur de la République ou à un magistrat référent[1].
En cas de refus, un recours est désormais possible devant le président de la chambre de l’instruction, sous le contrôle de la Cour de cassation.
C’est précisément à la suite d’un tel recours que la Cour de cassation a rendu son arrêt le 30 mars 2021.
Mme X, la requérante, était enregistrée tant en qualité de victime que de mise en cause au sein du fichier TAJ.
Entre 2015 et 2020, elle a ainsi formé trois demandes auprès du procureur de la République aux fins d’effacement de ses données personnelles du fichier.
Selon elle, la conservation de ces dernières portait atteinte au droit au respect de sa vie privée.
En effet, Mme X signalait notamment « des erreurs, des informations non mises à jour, inexactes, obsolètes, certaines depuis plus de vingt ans », et que celles-ci avaient été utilisées à de nombreuses reprises pour la discréditer, malgré la précision de sa qualité de victime sur certaines mentions.
Suite au refus du parquet, l’affaire est portée devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, qui rejeta également sa demande.
Or, Mme X a considéré que le président de la chambre de l’instruction s’était appuyé pour ce faire sur les réquisitions du procureur général (soit l’avis du ministère public en appel).
Le procureur général avait effectivement noté la mention de trois condamnations sur le casier judiciaire de la requérante dont la gravité et la multiplicité imposaient à juste titre la conservation de ses données au regard de la finalité judiciaire du fichier TAJ. Il précisait par ailleurs que l’accès « très réglementé » au fichier TAJ ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante et que les conditions strictes de conservation des données ne constituent pas une atteinte disproportionnée au droit de toute personne au respect de sa vie privée.
Néanmoins, et c’est là où le bât blesse, ces réquisitions du procureur général n’ont pas été communiquées à Mme X.
Or, l’article préliminaire du code de procédure pénale et l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) précisent que la procédure pénale doit notamment être contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties.
Selon le principe fondamental du contradictoire, chaque personne doit notamment avoir été mise en mesure de prendre connaissance des arguments à partir desquels elle sera jugée ; ce que Mme X ne manque pas de faire valoir devant la Cour de cassation
La Cour de cassation casse l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction.
Elle rappelle, d’une part, en vertu de l’article R. 40-31-1 du code de procédure pénale relatif aux recours en matière d’effacement ou de rectification de données personnelles du fichier TAJ, que l’ordonnance du président de la chambre d’instruction n’est susceptible de pourvoi en cassation que si elle ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale.
D’autre part, conformément à l’article 6§1 de la CESDH, le juge ne peut pas fonder sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties.
Or, compte tenu du fait que les réquisitions n’ont pas été communiquées à la requérante, ou que celle-ci n’a pu y avoir accès, l’ordonnance du président de la chambre d’instruction ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale et encourt la cassation.
Ainsi, selon la chambre criminelle, en cas de recours, le président auprès de la chambre de l’instruction devra veiller à l’accès et la communication des réquisitions du procureur général aux personnes concernées, sous peine d’encourir la cassation de son ordonnance.
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[1] Articles 230-8 et 230-9 du code de procédure pénale