Par Anne Charlotte Andrieux et Céline Rodier
En septembre dernier, nous attirions votre attention sur la volonté du Royaume-Uni de s’écarter du cadre règlementaire européen de protection des données suite au Brexit, plus précisément du régime européen d’encadrement des cookies et traceurs publicitaires.
Or, début décembre, c’est en matière de vie privée dans le cadre d’une affaire particulièrement médiatique impliquant Meghan Markle que l’écart a continué de se creuser entre le Royaume-Uni et le continent.
Retour sur l’affaire Meghan Markle
Les faits
Le Mail on Sunday, journal hebdomadaire britannique, avait publié une lettre de Meghan Markle, écrite à son père peu après son mariage avec le prince Harry. La justice britannique avait alors retenu l’atteinte à la vie privée de la duchesse au motif que la publication de cette lettre était « manifestement excessive et donc illégale ».
L'éditeur du journal, le groupe Associated Newspapers Limited (ANL), condamné à verser 450 000 livres (530 000 euros) à Meghan Markle, avait contesté ce jugement devant la Cour d'appel de Londres.
La solution de la Cour d’appel de Londres
Dans un arrêt rendu le 2 décembre dernier, la Cour a rejeté l’appel formé par le tabloïd britannique et a donc fait prévaloir la protection de la vie privée sur la liberté d’expression.
Or, les solutions dans ce sens se sont multipliées récemment, comme en témoigne la condamnation de la BBC par la Haute cour à Londres, dans une affaire l’opposant au chanteur britannique Cliff Richard, pour atteinte à la vie privée de ce dernier.
Ainsi, cette victoire de Meghan Markle a été perçue Outre-Manche comme une nouvelle entaille à la liberté d'expression[1].
Un arrêt exploité dans le cadre du projet de révision du Human Rights Act
Alors que le groupe ANL a annoncé qu’il envisageait de saisir la Cour suprême du Royaume-Uni, le gouvernement s’est empressé d’exploiter l’affaire Meghan Markle pour appuyer sa remise en cause du Human Rights Act.
Qu’est-ce que le Human Rights Act?
Le Human Rights Act est une loi britannique adoptée en 1998 et entrée en vigueur en 2000 qui a transposé la Convention européenne des droits de l'homme dans le droit anglais. Or, ce texte impose aux tribunaux de trouver un équilibre entre le droit à la vie privée et la liberté d’expression, consacrés respectivement aux articles 8 et 10 de la Convention.
Le projet de révision du Human Rights Act
Ce projet de révision, qui est soumis à consultation pendant trois mois, a été publié quelques jours seulement après l’arrêt rendu par la Cour d'appel de Londres dans l’affaire Meghan Markle.
« Nos projets de déclaration des droits renforceront les droits typiquement britanniques comme la liberté d'expression et le jugement par jury, tout en empêchant les abus du système et en ajoutant une bonne dose de bon sens. […] Nous n'avons pas les mêmes textes protégeant la vie privée qu'en Europe continentale. », a déclaré Dominic Raab, vice-Premier et ministre de la Justice britannique[2].
Pour rappel, la Convention européenne des droits de l'homme est un traité international signé par les États membres du Conseil de l'Europe, une organisation intergouvernementale distincte de l’Union européenne.
Toutefois, on remarque que le gouvernement britannique profite du Brexit pour soumettre ce projet de révision, qui vise à conférer davantage de pouvoir à la Cour Suprême, et de manière plus générale aux tribunaux, dans leur interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, le projet prévoit d’accorder moins d’importance aux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme, dont le siège est situé à Strasbourg.
Cependant, I. Stephanie Boyce (avocate britannique et présidente de la Law Society of England and Wales), a relevé le manque de clarté au regard de la situation actuelle au Royaume-Uni. « Les tribunaux britanniques ne suivent pas aveuglément, comme le suggère le gouvernement, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. », a-t-elle déclaré[3].
De plus, Outre-manche, l’accueil de ce projet a été mitigé. En effet, alors que certains saluent l’initiative de faire passer le droit européen avant le droit britannique, d’autres craignent des mesures finales confuses et inutiles.
Ainsi, à l’heure actuelle, il n’est nullement question d’une sortie du Conseil de l’Europe pour le Royaume-Uni, ou de ne plus prendre en compte la Convention européenne des droits de l'homme, mais force est de constater que le pays continue de s’écarter des standards européens.
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Par ailleurs, cette annonce du gouvernement britannique intervient dans un contexte post-Brexit déjà très tendu suite au conflit opposant Londres et Paris sur le nombre de licences de pêche accordées aux bateaux français, et à la démission du ministre du Brexit David Frost le 19 décembre dernier.
Sa remplaçante, Liz Truss, la ministre britannique des Affaires étrangères, a été annoncée immédiatement et sera la négociatrice avec l’Union européenne, mais de nombreuses difficultés restent encore à surmonter, auxquelles vient donc s’ajouter la révision du Human Rights Act et les liens Royaume-Uni/Europe.
Affaire(s) à suivre…
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[1] FEUERSTEIN I., « Respect de la vie privée : le Royaume-Uni veut une nouvelle législation post-Brexit », Les Echos, 15 décembre 2021.
[2] « Human Rights Act: UK government unveils reform proposals », BBC, December 15, 2021.
[3] Ibid.