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Les caméras « augmentées » seront-elles autorisées durant les JO de PARIS 2024 ?

Rédigé par Haas Avocats | May 3, 2024 2:02:13 PM

Par Haas Avocats

Avec plus de 10 000 athlètes et plus de 20 000 journalistes attendus, l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024 représente un défi majeur pour la France notamment en matière de sécurité.

Dans ce contexte, afin d'éviter des incidents comme ceux qui ont eu lieu au Stade de France lors de la finale de la ligue des champions en mai 2022, la loi du 19 mai 2023 a introduit plusieurs dispositifs pour assurer le bon déroulement des Jeux olympiques de 2024 en matière de sécurité, de soins, de lutte antidopage ou de transports.

A ce titre, l'article 10 de la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 introduit la possibilité de mettre en œuvre des dispositifs de caméras « augmentées », notamment par l’intermédiaire de drones.

Ces dispositifs utilisant l'intelligence artificielle (IA) seront ainsi expérimentés durant les JO afin de détecter en temps réel des évènements prédéterminés (comme des mouvements de foules, un sac abandonné ou des comportements suspects) dans les lieux accueillant des évènements, à leurs abords et dans les transports en commun.

Par principe, l’usage, par la puissance publique, de caméras « augmentées » pour la détection et la poursuite d’infractions, n’est pas autorisé, qu’il s’agisse de dispositifs dédiés ou couplés à des caméras de vidéoprotection préexistantes, comme l’a rappelé précédemment la CNIL.

Un usage des caméras « augmentées » temporaire et encadré

Si la loi du 19 mai 2023 va permettre l'installation de caméras intelligentes pour assurer la sécurité des Jeux olympiques 2024, un certain nombre de garanties ont été mises en place afin de limiter les risques d’atteinte aux données et à la vie privée des personnes conformément aux préconisations de la CNIL :

  • Ce déploiement est limité à certaines finalités spécifiques : assurer la sécurité de « manifestations sportives, récréatives […] particulièrement exposées à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes » ;
  • Un dispositif uniquement au profit des « services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, les services d'incendie et de secours, les services de police municipale et les services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens dans le cadre de leurs missions respectives» ;
  • L’absence de traitement de données biométriques et « de technique de reconnaissance faciale » dans le cadre de ce dispositif ;
  • L’absence de rapprochement avec d’autres fichiers, en ce sens ce dispositif doit permettre uniquement « un signalement d'attention, strictement limité à l'indication du ou des événements prédéterminés qu'ils ont été programmés à détecter », tels que par exemple des comportements suspects, des incidents, des colis abandonnés, des mouvements de foule ;
  • L’absence de décision automatique : les algorithmes ne servent qu’à signaler des situations potentiellement problématiques et « ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite».
  • Enfin, le public doit être préalablement informé de l'installation de ce dispositif, et ce « par tout moyen approprié, le cas échéant sur les lieux de captation des images», hormis dans certaines situations « lorsque les circonstances l'interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ».

Le recours aux caméras « augmentées » est autorisé par le représentant de l’Etat dans le département ou par le préfet de police à Paris, notamment si le recours à ce dispositif est proportionné à la finalité poursuivie.

Un dispositif autorisé sous le contrôle de la CNIL

La CNIL s'est tout d’abord prononcée le 8 décembre 2022 sur ce projet de loi.

Elle a notamment relevé que le recours à ces dispositifs soulevait des enjeux nouveaux et substantiels en matière de vie privée, mais a néanmoins considéré que les garanties listées précédemment permettent de limiter les risques d'atteinte aux données et à la vie privée des personnes et vont dans le sens de ses précédentes préconisations.

En effet, dans le cadre de sa consultation du 19 juillet 2022, la CNIL avait estimé que « la loi française n’autorise pas l’usage, par la puissance publique, des caméras « augmentées » pour la détection et la poursuite d’infractions, qu’il s’agisse de dispositifs dédiés ou couplés à des caméras de vidéoprotection préexistantes ».

De telle sorte que si leur usage était réellement nécessaire et efficace, cet usage « devrait être autorisé par une loi spécifique qui, à l’issue d’un débat démocratique, fixerait des cas d’usages précis avec des garanties au bénéfice des personnes ».

Par ailleurs, la loi du 19 mai 2023 prévoit expressément que chaque recours aux caméras « augmentées » devra préalablement être autorisé par un décret pris après avis de la CNIL[1].

Ledit décret devra préciser les caractéristiques essentielles du traitement tels que les événements prédéterminés que le traitement aura pour objet de signaler ou encore « les spécificités de la situation justifiant leur emploi »[2]. Le décret sera également accompagné d’une analyse d’impact relative à la protection des données personnelles.[3]

Une consultation publique dans le cadre de l’élaboration de ce décret pourra également être organisée par le Gouvernement[4].

Enfin, la CNIL doit être informée tous les trois mois des conditions de mise en œuvre de l’expérimentation des caméras « augmentées ». En ce sens le Gouvernement devra remettre au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2024, un rapport d’évaluation de la mise en œuvre de l’expérimentation[5].

Un dispositif contesté mais validé par le Conseil constitutionnel sous réserve d’une durée proportionnée

Des députés écologistes et de La France insoumise avaient saisi le Conseil constitutionnel, considérant que cette technologie portait "des atteintes graves aux libertés fondamentales d'aller et venir, de manifester et d'opinion" notamment en l’absence de garanties suffisantes entourant le recours à des traitements algorithmiques.

En particulier, le recours indiquait que le champ d’application de l’article 10 de la loi du 19 mai 2023, qui ne se limite pas aux manifestations liées aux jeux olympiques et paralympiques, était trop large et que la détection de certains événements conduirait nécessairement au traitement de données biométriques.

Dans sa décision en date du 17 mai 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que pour répondre à l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, « le législateur peut autoriser le traitement algorithmique des images collectées au moyen d’un système de vidéoprotection ou de caméras installées sur des aéronefs ».

Le Conseil Constitutionnel a toutefois émis une réserve d'interprétation sur la durée de l'autorisation du recours à ce dispositif. Par conséquent, les préfets devront immédiatement mettre fin à l'autorisation lorsque les conditions qui ont justifié sa délivrance ne sont plus réunies.

Les mesures de sécurité supplémentaires prévues par la loi du 19 mai 2023

Au-delà de la mise en place de caméras « augmentées », la loi du 19 mai 2023 prévoit également la mise en place des mesures suivantes pour garantir la sécurité durant les Jeux Olympiques de Paris 2024 :

  • La possibilité d’installer des scanners corporels pour fluidifier l’accès aux enceintes sportives. Toutefois les personnes susceptibles d’être soumises à ce type de contrôle devront donner leur accord préalable. Par ailleurs, le contrôle par palpation est maintenu[6];
  • La Préfecture de police de Paris sera seule responsable de l’ordre public sur la région Ile de France pendant toute la période des Jeux, compte tenu de la multiplicité des lieux à sécuriser et afin de maintenir un dispositif cohérent.[7];
  • Des dispositifs permettant un échange d’informations permanent entre les services de l’Etat et les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP[8];
  • Une extension du criblage, c’est-à-dire des enquêtes administratives de sécurité qui pourront être étendues aux « fan zones », aux athlètes et membres des délégations ainsi qu’aux partenaires[9];
  • Enfin, afin de prévenir et sanctionner les comportements violents dans les stades, les mesures d’interdiction de stade seront rendues plus systématiques.[10]

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Ainsi, la mise en place de caméras dites « augmentées » a été permise par le législateur à titre expérimental afin de garantir un certain degré de sécurité lors des JO 2024.

Ce dispositif intervient dans le prolongement du décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 qui a étendu le cadre administratif dans lequel il est possible pour les services de police et de gendarmerie d’utiliser des aéronefs équipés de caméras et de systèmes d’enregistrement.

Le déploiement de tels dispositifs est néanmoins entouré de nombreuses mesures prévues par la loi, conformément aux préconisations de la CNIL, ayant vocation à limiter les risques d’atteintes aux données et à la vie privée des personnes concernées.

Toutefois, la durée du recours à ce dispositif reste le point le plus contesté. A ce titre, le Conseil constitutionnel a pris soin de rappeler que ce dispositif devra prendre fin immédiatement lorsque les conditions ayant justifié son autorisation ne sont plus réunies.

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[1] Article 10. V de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[2] Article 10. V de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[3] Article 10. V de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[4] Article 10. V de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[5] Article 10. XI de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[6] Article 16 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[7] Article 14 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[8] Article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[9] Article 11 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023

[10] Article 19 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023