Le droit à l’image : un bon moyen d’opposition à la recevabilité de la preuve ?

Le droit à l’image : un bon moyen d’opposition à la recevabilité de la preuve ?
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Par Haas Avocats

Peut-on produire en justice une partie des images et enregistrements issus de la vidéosurveillance de ses locaux ?

Et cela, même si les images ainsi diffusées montrent la partie adverse ou ses représentants sans que ceux-ci en aient été informés ? et donc en ne respectant pas le droit à l’image de ces derniers ?

Peut-on qualifier une telle preuve de déloyale ?

C’est à cette question qu’a dû répondre la Chambre commerciale financière et économique dans une décision n°19-21.884 en date du 4 janvier 2023.

En l’espèce, une société qui importe d’un pays tiers à l’Union européenne des tabacs manufacturés s’est vu notifier plusieurs infractions à la règlementation en matière de contributions indirectes, à la suite d’un contrôle des ses entrepôts par l’administration douanière.

La Haute juridiction répond à cette question par l’affirmative. Elle vient préciser que ce mode de preuve ne peut être déloyal, que s'il porte atteinte à un droit essentiel ou une liberté fondamentale de la partie à qui la preuve est opposée en justice.

La vidéosurveillance d’un local professionnel un moyen technique permettant d’obtenir des preuves.

La vidéosurveillance au travail est de plus en plus fréquente, celle-ci peut se justifier par la protection des personnes mais aussi des biens. Cependant, il ne faut pas croire qu’en la matière l’employeur est libre de tout faire.

Quels types de locaux professionnels peuvent faire l’objet d’une vidéosurveillance ?

Pour comprendre les limites d’un pareil dispositif il peut être intéressant de regarder ce que la CNIL recommande et interdit en la matière. Cette dernière rappelle notamment qu’avant toute installation d’un dispositif de télésurveillance, les instances représentatives du personnel doivent être informées et consultées.

 

De même, elle opère une distinction fondamentale entre la vidéosurveillance d’un lieu non ouvert au public, et la vidéosurveillance d’un lieu ouvert au public. Cette distinction est importante, notamment parce que l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance dans un lieu interdit aux salariés, ou dans un lieu où ces derniers ne sont pas censés travailler, n’a pas à faire l’objet d’une information préalable auprès des salariés ou du comité social et économique de l’entreprise.

 

Cette possibilité est ouverte à l’employeur à condition qu’elle poursuive un objectif légal et légitime. Cet objectif peut se décliner de différentes manières : la prévention d’infraction sur le lieu de travail, que ce soit en matière d’atteinte aux biens ou des personnes.

 

La mise en place d’une vidéosurveillance implique pour l’employeur qui la met en place, de se conformer à ses obligations en matière de règlementation sur la protection des données personnelles (RGPD). Dans ce cadre, l’employeur se place comme un responsable de traitement, il doit donc justifier de la finalité du traitement, de la durée de conservation des images, ou encore des droits issus du RGPD.

 

Dans les faits de l’espèce, la société à l’origine de la mise en place de la vidéosurveillance a mis le dispositif dans ses locaux professionnels. Par conséquent aucune formalité auprès de la CNIL n’est nécessaire, mais l’employeur doit inscrire ce dispositif de vidéosurveillance dans le registre des traitements de données qu’il doit tenir. Il doit notamment en informer ces salariés, si ce dispositif a pour finalité le contrôle de l’activité des salariés.

 

Cependant l’origine du problème soumis à la Haute juridiction, est le fait que les images de vidéosurveillance n’étaient pas opposées aux salariés de la société qui eux sont informés de l’existence de ce dispositif, mais aux agents de l’administration des douanes qui n’ont pas été informés préalablement à leur contrôle de l’existence du dispositif de vidéosurveillance.

Les images issues de la vidéosurveillance sont-elles des preuves loyales ?

La Cour d’appel dans cette espèce a en effet écarté du débat judiciaire les pièces de la société qui consistaient en des passages des bandes de vidéosurveillance. Elle caractérisait ces preuves de déloyales.

 

Mais qu’est-ce qu’une preuve déloyale ? La loi et plus particulièrement l’article 9 et du Code de procédure civile dispose que c’est une preuve non conforme à la loi ou à ses exigences, et donc une preuve illicite.

 

La preuve déloyale, peut être une pièce qui ne répond pas au principe de loyauté procédurale, ou celle obtenue par des moyens déloyaux. En général sont aussi qualifiées de déloyales les preuves recueillies à l’insu de la personne contre laquelle elles sont produites, et celles obtenues par le recours à un stratagème (par la ruse, une machination ou un procédé trompeur).

 

La Cour de cassation[1] s’est par exemple prononcée quant à la licéité d’un dispositif de vidéosurveillance en indiquant qu’il constituait un moyen de preuve illicite alors même que le salarié était au courant de l’existence de ce dispositif.

 

Ce qui rendait la preuve illicite était l’absence d’information préalable du comité d’entreprise à la mise en place du dispositif. D’où l’intérêt de bien respecter la procédure et le formalisme en matière de vidéosurveillance.

 

La preuve illicite peut aussi être une preuve obtenue de manière déloyale, dans l’affaire ce n’est pas forcément le non-respect d’un formalisme légal qui rend la preuve illicite, mais plutôt la manière dont la partie qui la produit l’a obtenue. En effet, comme il peut être bon de le rappeler, si la vidéosurveillance au travail est acceptée, elle connaît des limites et notamment l’obligation pour l’employeur de respecter la vie privée de ses employés.

 

Derrière cette affirmation se cache l’idée qu’on ne peut aller à l’encontre de certains droits et libertés de la personne à qui on oppose la vidéosurveillance, sauf si cela est proportionné au but recherché ou au regard des intérêts antinomiques en présence.

 

En l’espèce, la Cour de cassation va considérer que les images de vidéosurveillance, même si elles ont été prises à l’insu des agents de l’administration des douanes, ne constituent pas en elles-mêmes des preuves déloyales.

 

La limite de la vidéosurveillance comme moyen de preuve : l’atteinte aux droits de la personnalité ou aux droits ou libertés fondamentales (droit à l’image)

La Cour de cassation revient sur la position de la Cour d’appel, pour la Haute juridiction il n’est allégué aucune atteinte aux droits de la personnalité des agents de l’administration des douanes pouvant résulter de l’utilisation des images tirées de la vidéosurveillance à titre de preuves.

Le dispositif de vidéosurveillance se heurte-t-il au droit à l’image des personnes filmées à leur insu ?

En effet la société dans le moyen entrainant la cassation partielle, formule : « que la production en justice par une partie d'images et enregistrements issus de la vidéosurveillance de ses locaux, filmant la partie adverse ou ses représentants sans que ceux-ci en ait été informés, ne constitue pas en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve ; que ce mode de preuve ne peut être déloyal que s'il porte atteinte à un droit essentiel ou une liberté fondamentale de la partie à qui la preuve est opposée en justice, ou de la personne filmée ».

 

Dans cette décision, la Cour de cassation renvoie les parties devant la Cour d’appel et demande à cette dernière (sous l’impulsion des parties et plus particulièrement de l’administration des douanes), d’effectuer la recherche d’une atteinte proportionnée ou non, notamment vis-à-vis des droits de la personnalité des agents de l’administration des douanes. Et cela dans le but, de savoir si la preuve peut être qualifiée de déloyale ou non.

 

Pour faire simple, la Cour de cassation ici ne met pas en avant l’absence d’atteinte aux droits de la personnalité des agents de l’administration des douanes. Elle explique seulement que l’administration des douanes n’avance en rien une atteinte aux droits de la personnalité de ses agents.

 

La Cour européenne des droits de l’Homme a considéré que si un enregistrement vidéo effectué à l'insu de l'intéressé constitue une ingérence dans le droit de la personne à la protection de son image, cette ingérence n'est pas disproportionnée dès lors que les images litigieuses ont été prises sur la voie publique, qu'elles n'ont pas été diffusées publiquement et qu'elles ont été utilisées à la seule fin d'un procès civil[2].

 

Les similarités de cette jurisprudence avec la décision d’espèce sont nombreuses, exception faite du lieu où sont prises les images. Or si on suit cette jurisprudence l’utilisation de la vidéosurveillance comme moyen de preuve ne semble pas porter une atteinte disproportionnée au droit à l’image des agents de l’administration des douanes.

L’atteinte au droit de la personnalité est-elle proportionnée lorsqu’elle est faite pour des raisons de droit de la preuve ?

Les droits de la personnalité peuvent se définir comme les droits qui assurent à l’individu la protection des attributs de sa personnalité. Il s’agit donc du droit à la vie privée mais aussi du droit à l’image ou encore du droit à la vie.

 

Cette question d’atteinte aux droits de la personnalité est une question qui se pose aussi dans notre vie quotidienne, voire amoureuse. En effet, il n’est pas sans rappeler que la preuve numérique d’une infidélité ne porte pas atteinte à la vie privée de la personne contre qui elle est opposée.

 

Dans l’affaire commentée, les droits à la personnalité font référence au droit à l’image qui permet d’autoriser ou de refuser la reproduction et la diffusion publique de son image.

 

Pour les tribunaux la protection conférée par ce droit s’affirme comme suit : « toute personne a sur son image et sur l'utilisation qui en est faite un droit exclusif et peut s'opposer à sa diffusion sans son autorisation[3] ».

 

Mais doit-on considérer de la même manière la diffusion d’image pris à l’insu de la personne sur internet ou à la télévision, et la diffusion de ces mêmes images dans le cadre d’un procès en vue de les opposer à la personne concernée par ces images ?

 

La réponse semble évidente si on raisonne en terme de public touché. Un public beaucoup plus large est touché dans le cas d’une diffusion sur un média, que dans le cadre d’une diffusion au cours d’un procès.

 

Pour ce qui est des conséquences de ces deux types de diffusion, il est intéressant de souligner que l’atteinte aux droits de la personnalité sera peut-être plus simple à retenir dans le cadre d’une diffusion à un large public (sous couvert du droit du public à être informé, ou du statut de personnalité publique de la personne concernée). Alors que dans le deuxième cas cette atteinte est nuancée par le fait que la diffusion touche un public restreint, mais aussi par la nécessité d’établir la vérité judiciaire.

 

En effet dans l’espèce, la société cherche à produire des preuves contre un procès-verbal douanier. D’après l’article L238 du livre des procédures fiscales, ces derniers font foi jusqu’à preuve du contraire. Ce qui veut dire qu’ils ne sont remis en cause que si la preuve contraire est apportée par la partie intéressée.

Force est de constater que dans un souci de la garantie d’un procès équitable dont dispose l’article 6 § 1 de la CEDH, le droit à l’image ne semble pouvoir primer sur la production de la vidéosurveillance comme preuve.

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[1] Cass. Soc., 7 juin 2006, n°04-43.866

[2] CEDH, 27 mai 2014, aff. 10764/09, De La Flor Cabrera c/ Espagne

[3] CA Paris, 1re ch., 14 mai 1975, Deneuve c/ Presse Office ou TGI Paris, réf., 24 janv. 1997, Depardieu c/ Prisma Presse

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