Par Gérard HAAS et Lucie BRECHETEAU
La Cour de cassation rappelle qu’une juridiction saisie d’une demande de déréférencement doit impérativement apprécier si « l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, répond à un motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public, et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt »1.
En se fondant sur des principes précédemment établis par la Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour de cassation a rappelé l’importance de statuer dans le respect du principe de proportionnalité dans le cadre d’une demande de déréférencement de liens menant vers des pages Internet contenant des données dites « sensibles ».
Dans cette affaire, un expert-comptable, exerçant également la profession de commissaire aux comptes, avait été déclaré coupable d’escroquerie et de tentative d’escroquerie et condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 € d’amende, ainsi qu’à payer une certaine somme à l’administration fiscale.
Les comptes rendus d’audience relatant cette condamnation pénale ont fait l’objet d’une publication sur le site Internet d’un journal régional.
Constatant que ces articles, bien qu’archivés sur le site du journal, demeuraient accessibles par le biais d’une recherche effectuée à partir de ses éléments nominatifs sur le moteur de recherche Google, le requérant a formulé une requête auprès du moteur de recherche afin d’obtenir la suppression des liens litigieux. Face au refus du « géant du numérique », le requérant a assigné la société Google LLC aux fins de déréférencement.
La Cour d’appel, statuant en référé, a rejeté cette demande en soulignant d’une part que les infractions commises par l’intéressé présentaient un intérêt pour le public au regard de son activité professionnelle dès lors qu’il était amené, en sa qualité d’expert-comptable, à donner des conseils de nature fiscale à ses clients, et que ses fonctions de commissaire aux comptes appelaient une probité particulière. D’autre part, les juges rappellent qu’en tant que membre d’une profession réglementée, le requérant occupait un rôle dans la vie publique.
A ce titre, les juges d’appel ont fait primer le droit à l’information garanti à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur les droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, consacrés aux articles 7 et 8 de cette Charte.
Le requérant forme alors un pourvoi en cassation.
Dans le cadre d’une telle affaire, la problématique qui se pose est la suivante : un internaute peut-il légitimement réclamer le déréférencement d’un lien menant vers des pages Internet révélant des données sensibles le concernant, sans porter atteinte à la liberté d’information du public ?
Inévitablement, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par les juges du second degré, en rappelant l’importance d’une mise en balance des intérêts dans le cadre d’affaires impliquant des données relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté. Notons que le traitement de ce type de données est strictement encadré par l’article 10 du RGPD2, au regard des risques qu’il implique pour la vie privée des personnes concernées.
Selon elle, toute juridiction saisie d’une demande de déréférencement doit, afin de justifier le bien-fondé de sa décision, opérer une mise en balance des intérêts en présence. En appliquant ce raisonnement au cas d’espèce, la Haute juridiction a considéré que la Cour d’appel aurait dû apprécier les faits en mettant en balance les droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles de l’intéressé d’une part, et le droit à l’information des internautes, d’autre part.
Ainsi, les juges d’appel auraient dû vérifier si, compte tenu de la sensibilité des données personnelles concernées et au regard de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée qu’impliquait un tel référencement, l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats était strictement nécessaire pour préserver la liberté d’information des internautes, potentiellement intéressés à avoir accès aux pages Internet relatant la condamnation pénale de l’expert-comptable.
En raisonnant ainsi, la Cour de cassation semble lier tout moteur de recherche à une obligation d’accéder aux demandes de référencement d’un lien conduisant à une page web relatant une condamnation pénale, à moins que cette inclusion soit jugée strictement nécessaire à la protection de la liberté d’information du public.
Une telle décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel actuel, visant à assurer une meilleure protection de la « vie numérique » des internautes. En effet, l’arrêt de la Cour de cassation est venu étoffer une jurisprudence déjà bien établie par la Cour de Justice de l’Union européenne, qui s’est prononcée sur la question du « droit à l’oubli » numérique au travers de décisions fondatrices, au rang desquelles se trouvent l’arrêt « Google Spain » du 13 mai 20143 et celui du 24 septembre 20194, dans lequel la Cour avait considéré que l’interdiction de traiter certaines catégories de données personnelles sensibles s’appliquait également aux exploitants de moteurs de recherche.
Une interprétation extensive du droit à la protection des données personnelles doit aujourd’hui permettre à tout internaute de bénéficier d’un « droit à l’oubli » numérique, afin d’éviter que son identité soit indéfiniment liée à des informations excessives et inadéquates publiées sur Internet.
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1 Cour de cassation, civile 1, 27 novembre 2019, n°18-14.675.
2 Article 10 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
3 CJUE, 13 mai 2014, aff. C-131/12 - Google Spain et Google.
4 CJUE, 24 sept. 2019, aff. C-136/17, GC, AF, BH, ED c. Commission nationale de l’informatique et des libertés.