Par Gérard Haas et Morgane de Saint Vincent
La Quadrature du Net ainsi que la Ligue des Droits de l’Homme alertent sur l’utilisation des drones à Paris et ont saisi le samedi 2 mai 2020 le tribunal administratif de Paris d’un référé-liberté.
Rappelons que la procédure du référé-liberté est utilisée en cas d'urgence et si une décision administrative porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (liberté de réunion, liberté d'expression, droit de propriété, etc.).
Effectivement, la police française utilise, dans le but d’endiguer la pandémie, des drones dans plusieurs villes afin de rappeler les consignes sanitaires et pousser les particuliers à rester chez eux.
Le dispositif est également utilisé pour aider les forces de l’ordre à la verbalisation des passants ne respectant pas les mesures de confinement.
Ces agissements ne sont pas sans rappeler la stratégie de surveillance par drone lancée par le gouvernement chinois et largement critiquée du point de vue des libertés.
Le référé des associations s’articule en deux points, la disproportion de la mesure et l’atteinte aux libertés individuelles.
Les associations à l’origine du référé ont déclaré dans un communiqué commun que :
"Depuis le début du confinement, la police et la gendarmerie utilisent de façon massive et inédite les drones pour surveiller la population et faire appliquer les règles du confinement"
Les chiffres sont assez éloquents puisque « 535 vols de drones, dont 251 de surveillance ont eu lieu entre le 24 mars et le 24 avril. »
Les deux associations estiment que le déploiement des drones sur le territoire français est illégal et ne répond à aucune norme juridique.
Elles soulignent également l’aspect disproportionné de l’utilisation des drones par les forces de police.
En France, seul un arrêté en date du 17 décembre 2015 règlemente l’usage des drones ceci aussi bien pour les particuliers que pour les forces de l’ordre.
Cet arrêté dispose que :
« Les aéronefs qui circulent sans personne à bord appartenant à l’État, affrétés ou loués par lui et utilisés dans le cadre de missions de secours, de sauvetage, de douane, de police ou de sécurité civile peuvent évoluer en dérogation aux dispositions du présent arrêté lorsque les circonstances de la mission et les exigences de l’ordre et de la sécurité publics le justifient »
Cette disposition serait alors de nature à venir justifier l’utilisation des drones par la police cherchant à assurer la « sécurité publique ».
Un argument qui ne convainc pas la Ligue des Droits de l’Homme et la Quadrature du Net qui soulignent que la crise sanitaire en cours ne doit pas venir banaliser l’utilisation de tels outils de surveillance extrêmement attentatoires aux libertés.
Les drones mis en place sont également considérés par les deux associations comme extrêmement liberticides du point de vue du droit à la vie privée.
En effet, le dispositif ne se contente pas de diffuser les consignes de sécurité par haut-parleur mais, à l’aide de caméras, de surveiller la population, de repérer les attroupements, de verbaliser les contrevenants et d’orienter les patrouilles au sol.
Les personnes filmées par les drones n’en sont pas informées, aucune communication n‘est faite sur les durées de conservation des images, les fondements et les éventuels recours possibles.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’est pourtant exprimée sur le sujet puisqu’elle avait soulevé le potentiel danger au regard des données à caractère personnel que représentaient les dispositifs de caméras-piétons en soulevant « qu’un encadrement légal, spécifique et adapté à de tels dispositifs, est nécessaire ». Un raisonnement similaire doit être fait avec les drones.
La CNIL a rédigé une recommandation le 26 décembre 2016 réaffirmant la nécessité du respect de la vie privée dans l’utilisation des drones en mettant un point d’attention sur les drones équipés de caméra micro et autre capteurs.
Elle rappelle également que le principe est l’information des personnes concernées, en particulier si le drone est équipé d’une caméra ou de tout autre capteur susceptible d’enregistrer des données les concernant.
Le 5 mai 2020 le tribunal administratif de Paris a rejeté le référé-liberté formulé. Cette décision a été rendue aux motifs que la condition d’urgence n’était pas remplie, que le dispositif mis en place ne permettait pas la reconnaissance des individus et enfin qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale n’était donc portée au droit à la vie privée et à la protection des données personnelles.
La Quadrature du Net et la Ligue des Droits de l’Homme considérant que leur demande n’a pas été entendue ont décidé de faire appel afin d’obtenir une décision du Conseil d’État.
Ce 18 mai 2020 le Conseil d’État a ordonné la suspension de la surveillance du confinement par drone par la police parisienne.
Le Conseil d’Etat a jugé que la surveillance par drone impliquait de facto le traitement de données à caractère personnel ceci sans aucun encadrement juridique. Ce dernier indique que cette surveillance ne sera possible qu’une fois que la CNIL aura rendu un avis et des recommandations sur la question ou que soit implanté un dispositif technique de nature à rendre impossible l'identification des personnes filmées.
Cette décision étant exécutoire, elle doit être appliquée dès le jour du rendu. C’est une vraie victoire en faveur des libertés individuelles obtenue par les deux associations.
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