Par Eve Renaud-Chouraqui et Claire Lefebvre
L’Autorité de la concurrence a publié son nouveau communiqué de procédure relatif à la méthode de détermination des sanctions.
Ce communiqué fait suite à la transposition en droit français de la Directive ECN +[1] par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021.
Ce communiqué remplace le précédent communiqué du 16 mai 2011.
Le pouvoir de sanction de l’Autorité de la concurrence résulte des articles L. 462-5 et suivants du Code de commerce : elle peut être saisie par le Ministère de l’économie et, dans certains cas, par des entreprises ou d’autres organismes, pour examiner les pratiques anti-concurrentielles.
Dans les grandes lignes, la procédure se déroule comme suit :
Elle peut accepter des engagements de l’entreprise ou prononcer des sanctions diverses (article L. 464-2 du Code de commerce), telles qu’ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques en cause ; leur imposer des mesures structurelles ou comportementales correctives ; ordonner la publication de sa décision ; ou encore infliger une sanction pécuniaire.
Dès le stade de la notification des griefs (en l’absence de rapport) ou de rapport notifié, les services d’instruction de l’Autorité doivent signaler à l’entreprise, ou l’association d’entreprises, concernée par la procédure, les principaux éléments susceptibles d’influer sur la détermination de la sanction pour lui permettre d’y répondre.
L’article L. 464-2 du Code de commerce pose quatre critères pour déterminer le montant de la sanction. Avec l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, un de ces critères a été modifié et remplacé comme suit :
Critères de 2011 |
Critère de 2021 |
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Depuis 2011, la méthodologie de l’Autorité consiste à :
L’Autorité de la concurrence précise cependant que cette méthodologie n’est pas une « méthode de calcul arithmétique et automatique » des sanctions.
Outre les modifications apportées à cette méthodologie lors de son communiqué en date de juillet 2021, l’Autorité de la concurrence remplace la notion d’ « organisme » par celle d’ « association d’entreprises », une évolution issue de la directive ECN+[2].
La valeur des ventes constitue la référence permettant de déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire : selon l’Autorité de la concurrence, elle permet de proportionner l’assiette de la sanction à « l’ampleur économique des infractions en cause » ainsi qu’au « poids relatif sur les secteurs et marchés concernés » de l’entreprise ou de l’association d’entreprises en cause.
Par exception, lorsque l’Autorité de la concurrence considère que la référence à la valeur des ventes aboutirait à un résultat inapproprié au regard de l’ampleur de l’infraction ou de son poids sur les marchés et secteurs concernés, elle est susceptible d’adapter cette méthode.
Le montant de base est ensuite fonction de la gravité des faits.
L’Autorité de la concurrence met à jour la liste non-limitative des différents éléments dont elle tient compte pour évaluer la gravité des faits en simplifiant la définition de la nature de l’infraction et par l’ajout de nouveaux éléments (comme la prise en compte de l’innovation, des acheteurs captifs comme personnes affectées, ou encore la connaissance du caractère infractionnel) :
2011 |
2021 |
1. La nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser ( (entente entre concurrents, qui peut elle-même revêtir un degré de gravité différent selon qu’il s’agit, par exemple, d’un cartel de prix ou d’un simple échange d’informations ; entente entre deux acteurs d’une même chaîne verticale, comme une pratique de prix de revente imposés par un fournisseur à des distributeurs ; abus de position dominante, qu’il s’agisse d’abus d’éviction ou d’exploitation), ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, clientèle, production, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ; ces éléments
2. la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;
3. la nature des personnes susceptibles d’être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.), et
4. les caractéristiques objectives de l’infraction ou des infractions (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d’une législation, etc.)
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1. la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser, ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, volume, diversité, qualité, coût, innovation, production, environnement etc.
2. la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause ( activité de service public, santé, marché public, secteur ouvert, depuis peu à la concurrence, marché innovant, etc )
3. la nature des personnes susceptibles d’être affectées (petites et moyennes entreprises, consommateurs vulnérables, acheteurs captifs etc.) ;
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La proportion de la valeur des ventes réalisées que l’Autorité de la concurrence retient, au cas par cas, en considération de la gravité des faits, ne connait pas d’évolution et reste comprise entre 0 et 30% (entre 15 et 30% pour les infractions les plus graves, comme les ententes horizontales de répartition de marché, de fixation ou limitation de prix).
En revanche, les abus de position dominante et les infractions les plus graves précitées seront plus sévèrement sanctionnés : à la proportion de valeur de vente pourra s’ajouter une somme comprise entre 15 et 25% de la valeur des ventes. Il s’agit d’une nouveauté du communiqué de 2021.
Enfin, la durée de l’infraction devient un paramètre à part entière : elle figurait auparavant simplement comme élément à ajouter pour déterminer le montant de base.
Elle remplace l’ancien critère de l’importance du dommage causé à l’économie, pour lequel l’Autorité de la Concurrence tenait compte de différents paramètres (ampleur de l’infraction, conséquences de la pratique (par exemple, création de barrières à l’entrée du marché, impact sur d’autres secteurs ou marchés…) ou encore l’impact sur les opérateurs économiques ou les consommateurs finaux…)).
L’Autorité de la concurrence complète la liste des circonstances atténuantes afin de mieux prendre en considération les comportements positifs de l’entreprise comme les mesures d’atténuation des dommages ou la coopération :
2011 |
2021 |
- l’entreprise ou l’organisme apporte la preuve qu’il a durablement adopté un comportement concurrentiel, pour une part substantielle des produits ou services en cause, au point d’avoir perturbé, en tant que franc-tireur, le fonctionnement même de la pratique en cause ; - l’entreprise ou l’organisme apporte la preuve qu’il a été contraint à participer à l’infraction ; - l’infraction a été autorisée ou encouragée par les autorités publiques.
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L’entreprise ou l’association d’entreprises apporte la preuve :
- qu'elle a mis fin à l'infraction dès les premières interventions de l’Autorité, étant précisé que cette circonstance atténuante n’est pas applicable aux accords ou pratiques de nature secrète, en particulier les cartels ;
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Les circonstances aggravantes ne sont pas modifiées : l’Autorité de la concurrence prend en compte le rôle de meneur de l’entreprise ou association d’entreprises concernée ou son rôle particulier dans la conception ou la mise en œuvre de l’infraction ; les contraintes exercées sur d’autres entreprises pour les faire participer à l’infraction, ou toute prise de mesures de rétorsion à leur encontre ; la capacité d’influence ou l’autorité morale particulière de l’entreprise ou l’association d’entreprises concernée.
Les autres critères liés à la situation de l’entreprise pour revoir le montant à la baisse ou à la hausse restent inchangés.
L’Autorité de la concurrence ajoute seulement qu’elle peut majorer la sanction s’il s’avère que les gains illicites estimés réalisés par l’entreprise ou l’association d’entreprises concernée grâce à/aux infraction(s) sont supérieurs au montant de la sanction pécuniaire qu’elle pourrait prononcer.
L’Autorité de la concurrence précise les quatre critères cumulatifs préexistants qui permettent de tenir compte de la réitération de l’infraction comme circonstance aggravante afin de tenir compte des décisions prises au niveau européen.
Elle précise également la formulation quant au délai écoulé entre les infractions pour confirmer l’existence d’un délai maximum de 15 ans :
2011 |
2021 |
1. une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la nouvelle pratique ; ce précédent constat d’infraction, qui ne doit pas nécessairement avoir été assorti d’une sanction pécuniaire, ne peut résulter ni d’une décision prononçant une mesure conservatoire, ni d’une décision rendant obligatoires des engagements ;
2. la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction ;
3. ce dernier doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l’Autorité statue sur la nouvelle pratique, et
4. le délai écoulé entre le précédent constat d’infraction et le début de la nouvelle pratique est pris en compte pour apporter une réponse proportionnée à la propension de l’entreprise ou de l’organisme concerné à s’affranchir des règles de concurrence ; l’Autorité n’entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à un organisme lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans. |
1. l’existence d’une décision constatant une infraction au droit français et/ou européen de la concurrence, y compris si cette décision n’est pas assortie d’une sanction pécuniaire, portant sur des pratiques de même nature, et adoptée tant au niveau national qu’européen, par une autorité en charge de l’application du droit de la concurrence ou une juridiction d’un État membre de l’Union Européenne ou par la Commission européenne, avant la fin de la nouvelle pratique ;
2. la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction ; 3. le constat d’infraction doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l’Autorité statue sur la nouvelle pratique ; et
4. le délai écoulé entre le précédent constat d’infraction et le début de la nouvelle pratique est inférieur ou égal à 15 ans ; en effet, l’Autorité n’entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à une association d’entreprises lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans. |
Les derniers critères d’adaptation de la sanction ne connaissent pas d’évolution notable, si ce n’est leur adaptation au remplacement de la notion d’ « organisme » par celle d’ « association d’entreprise » :
En synthèse : les apports du communiqué du 30 juillet 2021 visent essentiellement à tenir compte de la transposition de la Directive ECN+ et à harmoniser les pratiques de l’Autorité de la concurrence avec celles de la Commission européenne.
L’Autorité de la concurrence apporte ainsi un certain nombre de précisions sur les critères pris en compte lors de la détermination du montant de la sanction, que ce soit pour augmenter celui-ci ou, au contraire, récompenser les comportements vertueux de l’entreprise en cause.
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[1] Directive (UE) 2019/1 du 11 décembre 2018, visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur
[2] Avant l’Ordonnance, l’article L. 464-2 du Code de commerce opérait une distinction entre les entreprises et les « organismes » concernés par la sanction, pour adapter la procédure ou le calcul de la sanction à ces derniers.
Suivant la directive ECN+, l’Autorité de la concurrence remplace ce terme par celui d’association d’entreprises, qu’elle définit comme « les organisations qui ont vocation à regrouper l’ensemble des entreprises d’une même profession, ou d’un même secteur, et les organisations syndicales représentant les entreprises ».