La rupture de la relation commerciale établie en pleine pandémie COVID-19

La rupture de la relation commerciale établie en pleine pandémie COVID-19
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Par Eve Renaud-Chouraqui

La crise sanitaire découlant de l’épidémie de COVID-19 a mis à l’arrêt un certain nombre de secteurs ou, à tout le moins, largement diminué le flux commercial.

Elle a pu avoir eu pour conséquence la rupture de certaines relations contractuelles, établies de longue date.

Cette rupture des relations commerciales expose-t-elle l’entreprise en prenant l’initiative à un risque juridique ?

Comment l’entreprise victime de cette rupture peut réagir ?

C’est l’occasion de faire un rappel des conditions d’application applicables.

1. La rupture des relations commerciales établies : principe

Doivent être distinguées :

  • la menace de la rupture de la relation commerciale, réalisée dans le but d’obtenir des conditions abusives sur le prix ou les modalités de vente, qui n’auraient pas été obtenues en application de la négociation contractuelle classique ;

  • la rupture brutale, totale ou partielle, de la relation commerciale.

Notre propos est ici limité à la rupture brutale de la relation commerciale et non à la menace de rupture.

En application de l’article L442-1 II du Code de commerce : « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Les dispositions précitées précisent également qu’elles « ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Cette dernière précision est importante : aucune rupture brutale de la relation commerciale établie ne pourra intervenir lorsque la rupture est liée :

  • à une inexécution contractuelle de l’un des contractants ;
  • ou à un cas de force majeure.

Aussi et dans le contexte actuel d’une crise sanitaire brutale et non anticipable, les dispositions relatives à la rupture brutale de la relation commerciale établie ne trouveront vraisemblablement pas à s’appliquer, la résiliation du contrat ou l’éventuelle diminution du volume de commandes se justifiant pas un cas de force majeure[1]

La Cour de cassation a déjà pu exclure l’applicabilité des dispositions sur la rupture brutale des relations commerciales établies dans le cas où ladite rupture intervenait en raison d’une crise économique et financière[2].

Au regard de ce qui précède, les entreprises en situation de réduction de leurs activités, auraient tout intérêt à agir par la voie de la négociation/renégociation contractuelle afin de mettre en place une poursuite aménagée de leurs relations commerciales pendant le temps de la crise sanitaire.

Par ailleurs, les entreprises mettant en place de nouveaux contrats ont également tout intérêt à prendre en compte la situation actuelle et ses conséquences pour négocier des conditions contractuelles les protégeant au maximum du risque associé.

2. La rupture des relations commerciales établies : conditions et moyens d’actions

 

A. Quelles conditions doivent être remplies pour justifier d’une rupture brutale de la relation commerciale établie ?

La victime d’une telle rupture doit pouvoir justifier :

  • d’une relation commerciale et de son caractère établi:

    • la relation commerciale couvre toutes les relations commerciales (produits ou services), qu’elles soient contractuelles ou non ;

    • le caractère établi de celle-ci nécessite de démontrer son caractère suivi, stable et habituel et la possible anticipation, pour l’avenir, d’une certaine continuité de flux d’affaires ;

  • du caractère brutal de la rupture, entendu comme l’absence de préavis écrit suffisant.

Le préavis doit être écrit et manifester l’intention claire et non équivoque la volonté du cocontractant de mettre fin à la relation commerciale.

Il doit tenir compte de la durée de la relation commerciale et respecter une durée minimale en référence aux usages du commerce et aux accords professionnels.

Pour apprécier la durée du préavis, la jurisprudence prend en considération différents critères et notamment :

  • l’ancienneté de la relation commerciale ;

  • l’importance du courant d’affaires ;

  • le secteur d’activité concerné ;

  • la notoriété du client ;

  • la spécificité des investissements réalisés par l’entreprise s’estimant victime de la rupture ;

  • l’éventuelle dépendance économique de la victime de la rupture ou l’existence d’un accord d’exclusivité entre les parties.

L’article L442-1 II du Code de commerce (dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 avril 2019) précise qu’ « en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois ».

Il convient de préciser que la rupture peut n’être que partielle. Il y a rupture partielle lorsqu’une baisse significative du chiffre d’affaires intervient sans préavis ou en l’absence d’un commun accord entre les parties.

La rupture partielle peut également découler d’une modification des conditions commerciales régissant les relations entre les parties si les modifications opérées sont substantielles et de nature à bouleverser l’économie du contrat.

 

B. Comment réagir à la rupture brutale de la relation commerciale établie ?

Il est primordial de documenter les éléments entourant la rupture de la relation commerciale. La charge de la preuve du caractère brutal de la relation commerciale établie reposera sur l’entreprise s’en estimant victime.

L’entreprise voulant rompre une relation commerciale établie avec l’un de ses contractants aura, quant à elle, tout intérêt à préparer en amont cette rupture afin de pouvoir justifier de son absence de brutalité (justification de la nécessité de rompre le contrat, anticipation de cette rupture avec la poursuite des relations contractuelles pendant un délai de préavis suffisant et mise en place d’une éventuelle phase de négociation contractuelle).

Toute entreprise s’estimant victime d’une rupture brutale a la possibilité de saisir les tribunaux compétents :

  • en référé afin d’obtenir d’éventuelles mesures conservatoires ;

  • puis au fond afin d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la rupture.

N’hésitez pas à solliciter un conseil juridique qui saura, au regard de son expertise et des éléments de votre dossier, vous assister dans la gestion de vos différents et vous proposer les actions pertinentes.

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[1] Sauf à être en mesure de justifier que la rupture de la relation commerciale ne trouve pas son véritable fondement dans la crise sanitaire, utilisée comme un prétexte à la fin de la relation.

[2] Cass.com, 8-1-2019, pourvoi n° 17-23361 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038137147/.

Eve Renaud-Chouraqui

Auteur Eve Renaud-Chouraqui

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