Par Kate JARRARD et Gérard HAAS
L’intérêt pour une filiale dans un groupe de société est de pouvoir bénéficier du soutien de la société mère, mais quelle est la nature juridique de ce soutien ? Autrement dit, l’obligation de la société mère qui souscrit une lettre d’intention vis-à-vis de sa filiale est-elle une obligation de résultat ou une obligation de moyens ?
Sûreté personnelle et gage d’honorabilité, la lettre d’intention constitue à la charge de celui qui l’a souscrite un engagement contractuel de faire ou de ne pas faire, qui a pour objet de soutenir un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier[1]. Elle peut aller, selon ses termes et éléments extrinsèques, « jusqu’à l’obligation d’assurer un résultat, même si elle ne constitue pas un cautionnement »[2].
Soulignons que la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat en matière de lettre d’intention donne lieu à un abondant contentieux. C’est pourquoi, une attention particulière doit être portée à la rédaction de ce document.
Par exemple, une société mère est tenue à une obligation de moyens lorsqu’elle n’a promis, dans une lettre d’intention, que l’accomplissement de diligences, sans prendre d’engagements précis portant sur un tel résultat (par exemple, lorsque la société mère s’engage généralement à « faire son possible », « tous les efforts », « veille à » ou encore informe son créancier de sa « volonté de soutenir » la filiale[3]).
A contrario, lorsque la société mère précise qu’elle « fera tout le nécessaire », elle sera tenue à une obligation de résultat et doit atteindre le résultat déterminé[4]. Trop précise, la lettre d’intention perd donc de son efficacité.
L’intérêt essentiel de la distinction entre les deux types d’obligations concerne la charge de la preuve de la faute. En cas d’obligation de moyens, le créancier devra établir la faute de la société mère et le préjudice qui en résulte pour lui. Or, il suffira au créancier d’une obligation de résultat d’établir que le résultat n’a pas été atteint, c’est-à-dire que le soutien n’a pas été effectif.
Dans une affaire récente portée devant la Cour de cassation, une filiale avait obtenu d’un tribunal de commerce la condamnation d’un cocontractant à lui verser une indemnité[5].
Le cocontractant fait appel du jugement de condamnation, et la filiale obtient alors de sa société mère une lettre d’intention qui précise son soutien dans les termes suivants : « (...) vous avez sollicité de notre part que nous vous confirmions par écrit notre soutien dans le cadre de ce contentieux ; ce à quoi nous pouvons répondre favorablement sans aucune difficulté. (…) Comme vous le savez, [notre société] a toujours apporté son soutien ‘ y compris financier ‘ à [votre société], notamment par avances réalisées en compte courant d’associé. Nous vous confirmons bien volontiers que [notre société] continuera à soutenir [votre société] dans le cadre du contentieux l’opposant à [votre ex-cocontractant] et ce même si, par extraordinaire, la cour d’appel de Paris devait infirmer le jugement (…), obligeant votre société à restituer en tout ou en partie, la somme de 800 000 € concernée. »
La cour d’appel de Paris infirme le jugement, ce qui oblige la filiale à restituer l’indemnité. Or, entre temps, cette dernière a été mise en liquidation judiciaire et le cocontractant se tourne vers la société mère pour qu’elle lui restitue la somme. Un pourvoi est mis en place.
La Cour de cassation a alors considéré que la société mère s’était bien engagée à soutenir sa filiale au résultat précis de restitution des dommages-intérêts alloués dans le cas du contentieux concerné. Elle est donc tenue de restituer la somme.
La Chambre supérieure a pris en compte les facteurs suivants pour caractériser l’obligation de résultat, constitutive de garantie :
Le créancier ex-cocontractant n’a donc qu’à établir que le résultat n’a pas été atteint, à charge pour la société mère, dont la responsabilité se trouve engagée, de prouver que l’échec est dû à une cause étrangère (force majeure, fait d’un tiers, etc.).
Enfin, la chambre commerciale rappelle que, bien que la filiale ait disparu du groupe en cours de procédure, la lettre d’intention n’est pas caduque. En effet, la détention ou, en l’espèce, la cession d’une participation au sein d’une filiale n’étant pas un élément constitutif du contrat, elle ne rend pas impossible l’exécution de l’obligation.
Il en est de même, en matière de cautionnement des dettes de la société, concernant la perte de la qualité d’associé qui n’entraîne pas son extinction, sauf mention expresse contraire ou s’il est établi un motif déterminant de l’engagement de l’associé.
En matière de nouvelles technologies, de nombreuses filiales high tech font appel au soutien de leur société mère. Pour toute lettre d’intention, une attention particulière devra être stratégiquement portée à sa rédaction car celle-ci a des conséquences considérables dès lors que ce soutien est qualifié de résultat.
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[1] Article 2322 du code civil
[2] Cass. com., 21 déc. 1987, n° 85-13173
[3] Cass. com., 18 mai 2005, n°730 : RJDA 8-9/05 n°983
[4] Voir par exemple, Cass. com., 19 janvier 2010, n°09-14.438
[5] Cass. com., 3 juillet 2019, n°17-27820, Sté Groupe Duval c/ Sté SPBI