Par Frédéric PICARD
Par décision en date du 2 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu le déséquilibre significatif existant dans les relations contractuelles entre les Tiers Vendeurs et AMAZON.
AMAZON s’est ainsi vu infliger une amende civile de 4 millions d’euros sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 III du Code de commerce devenu l’article L. 442-1 I 2°du Code de commerce.
Et pour cause, la première marketplace sur le marché français s’était octroyée de larges prérogatives : suspension ou résiliation du contrat, garantie quasi-systématique du client, indices de performance non-explicites.
Il aura fallu quatre ans à la DGCCRF pour mener une enquête et obtenir la fin de ces pratiques discrétionnaires.
Les e-commerçants peuvent désormais souffler et ne devraient plus souffrir du diktat des marketplaces, qui, si elles ont à cœur de satisfaire l’acheteur, mettent parfois à mal la santé financière des e-commerçants.
Une petite explication s’impose
En s’inscrivant, les Tiers vendeurs acceptent une armada contractuelle (Politiques définissant les règles de fonctionnement de la place de marché et les droits d’AMAZON à l’encontre des vendeurs tiers, Conditions générales et particulières, Règles des services optionnels mais majeurs comme « Expédié par Amazon », etc.).
Ce procédé n’est pas en soi condamnable puisqu’il apparait difficile de procéder autrement : égalité dans les conditions entre les Tiers vendeurs, automatisation nécessaire du processus de contractualisation.
Toutefois, le Tribunal reprend les conclusions de l’Autorité de la concurrence et de la Commission européenne qui indiquent clairement que la non-négociabilité des contrats peut conduire à des pratiques restrictives de concurrence
Pour apprécier la puissance d’AMAZON, le Tribunal a dû déterminer le marché pertinent et la place d’AMAZON sur ce marché.
Après s’être légitimement moqué du moyen invoqué par cette dernière selon lequel les magasins physiques devaient être considérés comme une alternative suffisante de vente pour les petits distributeurs, le Tribunal a retenu le marché de la vente en ligne comme marché pertinent.
Il acte ensuite qu’avec 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, 18 millions de visiteurs, 136 millions de produits de référence, 170 vendeurs tiers, AMAZON est la première place de marché en France. Mieux encore, elle serait une place de marché incontournable de par sa taille, son panel de services et de prestations tels que « AMAZON PRIME ».
Les chiffres ci-dessus, mis en perspective avec ceux des tiers vendeurs, clients de la plateforme américaine, ont convaincu les juges de la puissance économique qu’AMAZON exerçait sur ses clients commerçants.
Il n’en fallait pas plus au Tribunal pour caractériser le critère de « soumission » exigé par l’ancien article L. 442-6 III du Code de commerce devenu L. 442-1 I 2°
A titre liminaire, le Tribunal rappelle que le déséquilibre peut résulter :
Les juges ont donc apprécié l’ensemble des clauses qui lui ont été soumises par le Ministère de l’Économie et des Finances.
C’est ainsi que le Tribunal va déclarer déséquilibrés :
Naturellement, il ne s’agit pas ici de recenser l’ensemble des griefs reprochés à AMAZON, la décision étant particulièrement longue.
Mais il est intéressant de retenir que :
Or, ces deux pratiques étaient intimement liées et pouvaient être utilisées par des marketplaces pour imposer leurs services de transport et de logistique.
Et pour cause, un tiers-vendeur accusant un taux d’insatisfaction client trop important (à tort ou à raison) pouvait se voir bloquer ses fonds pendant une période indéterminée, l’empêchant de fait de reconstituer sa trésorerie.
Sans trésorerie, le tiers-vendeur peut donc se retrouver dans l’incapacité de répondre aux nouvelles commandes passées sur sa boutique. De fait, les réclamations clients s’accroissent donnant un motif contractuel aux places de marché de suspendre, voire clôturer le compte du commerçant. En procédant de la sorte, il semblait aisé pour les places de marché d’accepter une éventuelle réouverture du compte en contrepartie de la souscription de services complémentaires tels que la logistique et la livraison par le tiers-vendeur.
Un cercle bien vertueux pour la place de marché mais tout aussi vicieux pour l’e-commerçant.
Aujourd’hui, ces pratiques semblent devoir disparaître avec cette décision puisque quand bien même l’article L. 442-1 du Code de commerce n’aurait pas à s’appliquer aux plus petites places de marché en l’absence de « soumission », il n’en demeure pas moins que le déséquilibre contractuel pourrait toujours être retenu dans les contrats d’adhésion depuis la réforme des contrats intervenue en 2016.
Alors à tous les tiers-vendeurs qui subissent de tels agissement, prenez les armes ! Exigez des conditions contractuelles équilibrées !
Le cabinet HAAS est naturellement à votre entière écoute et peut vous accompagner dans toutes démarches que vous souhaiteriez mener à ce titre. N’hésitez pas à nous contacter ici.