Par Haas Avocats
Le 1er mars 2023, la Cour de cassation a écrit l’épilogue d’une affaire de plus de 20 ans, en confirmant la condamnation d’Orange par la Cour d’Appel de Paris à indemniser la société Digicel à hauteur de 181.5 millions d’euros pour pratiques anticoncurrentielles.
Cet arrêt est l’occasion de préciser le mode de calcul des dommages et intérêts en cas de pratiques anti-concurrentielles.
Le contentieux entre les deux opérateurs remonte à décembre 2000. Alors que la société Orange Caraïbes bénéficiait d’un monopole de fait pour les services de téléphonie mobile sur la zone Antilles-Guyane, la société Bouygues Telecom Caraïbes (BTC), rachetée en 2006 par Digicel, est arrivée sur le marché.
Pour maintenir ses parts de marché sur ces territoires, Orange avait consenti d’importants efforts commerciaux et mis en places certaines pratiques qualifiés d'« abus de position dominante » par la Société BTC, telles que :
Après avoir été saisi d’une plainte par la Société BTC, aux fins de contester ces pratiques, l’Autorité de la concurrence a estimé que certaines pratiques dénoncées étaient susceptibles d’être constitutives d’entente ou d’abus de position dominante.
De ce fait, la Société Digicel (cessionnaire de la société BTC) a assigné les sociétés Orange et Orange Caraïbes en réparation du préjudice causé par lesdites pratiques qui ont, selon elle, anormalement bloqué son développement sur le marché de la téléphonie mobile dans cette zone.
En octobre 2018, la Cour d’Appel de Paris, statuant sur requête en interprétation de jugement, a condamné les sociétés Orange et Orange Caraïbes in solidum à verser à la société Digicel la somme de 179,64 millions d’euros en réparation des préjudices subis.
Saisie d’un pourvoi formé par les sociétés Orange et Orange Caraïbes, la Cour de cassation a confirmé en quasi-totalité, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris et précisé certains principes en matière d’indemnisation pour pratiques anti-concurrentielles.
La Cour de cassation rejette l’argument du partage de responsabilité qu’avancent les sociétés Orange. Elle considère qu’elles n’ont pas établi, comme il leur appartenait, que les sociétés BTC et Digicel avaient eu un comportement également fautif de nature à conduire à un partage de responsabilité.
Dans ce contexte, la Cour rappelle le principe en matière de charge de la preuve, selon lequel une partie qui est à l’origine d’un dommage et qui souhaite se prévaloir d’un partage de responsabilité, doit rapporter la preuve de la participation d’une autre partie à ce même dommage.
L’une des questions à laquelle devait répondre la Cour de Cassation était de savoir si la Cour d’appel s’était uniquement fondée sur les données d’un rapport d’expertise privée réalisé à la demande de DIGICEL, pour chiffrer le préjudice subi, sans s’assurer de son exactitude, alors que plusieurs rapports d’expertises contradictoires avaient été fournis par les parties.
La Cour de cassation relève que la Cour d’appel ne s’est pas fondée sur un seul rapport, mais avait tranché entre deux analyses divergentes pour fonder son calcul, ainsi que sur d’autres éléments factuels lui permettant d’en apprécier le caractère raisonnable.
La méthode contrefactuelle consiste à comprendre les causes du dommage, en comparant les résultats observés à ceux auxquels l’on pouvait s’attendre si l’intervention n‘avait pas été mise en œuvre.
Elle se présente comme un précieux outil pour répondre au principe de réparation intégrale selon lequel il convient de placer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si l’infraction ne s’était pas produite.
Appliquée au cas d’espèce, cette méthode a permis de construire des scénarios de ce qu’aurait été l’évolution normale du marché si les pratiques anti-concurrentielles n’avaient pas eu lieu.
En sus de valider le recours à de telles méthodes, la Cour de cassation a qualifié le préjudice subi de gain manqué en s’appuyant sur des évaluations reposant sur de « simples » hypothèses.
Par un motif de principe, la Cour de cassation a précisé que l’indemnisation du préjudice de perte de chance né de l’impossibilité de réaliser un investissement, peut être établi de manière directe et certaine par la victime, sous réserve de pour avoir attester de :
A défaut, la perte de chance n’est pas considérée comme étant directe et certaine, et le préjudice de trésorerie qui en découle ne peut être indemnisé.
La Cour d’appel avait fixé le point de départ des intérêts réparant le préjudice pris de l’indisponibilité des sommes dues, au 1er avril 2003, date à laquelle toutes les pratiques fautives ont été mises en œuvre par Orange.
La Cour de cassation, a considéré en revanche qu’à cette date le préjudice n’était pas entièrement constitué d’une part, et, qu’il était nécessairement progressif, d’autre part.
Il reviendra alors à la Cour d’appel de Paris, autrement composée, de statuer sur ce point.
Par cet arrêt, la Cour de cassation nous livre ainsi un enseignement pratique quant à la méthodologie pour déterminer le montant du préjudice subi par des pratiques anti-concurrentielles.
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