Actualités juridiques et digitales

La crise sanitaire et la reconfiguration du secteur cinématographique

Rédigé par Gérard HAAS | Feb 2, 2022 10:46:10 AM

Par Gérard Haas et Claire Benassar

Au commencement de la crise sanitaire, et « Considérant que l'observation des règles de distance [était] particulièrement difficile au sein de certains établissements recevant du public, il y [avait] lieu de fermer ceux qui [n’étaient] pas indispensables à la vie de la Nation tels que les cinémas ».

Presque deux ans après l’instauration des premières mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la « menace [de] notre modèle culturel » et l’impact considérable de l’épidémie sur le secteur cinématographique ne sont plus à démontrer.

Aussi, en décembre 2020, le Ministère de la Culture assurait la détermination de l’Etat « à soutenir les salles de cinéma », en restant « mobilisé sur ces sujets dans les semaines et les mois à venir »[1].

Pour ce faire, outre les aides financières étatiques, de nouvelles obligations de financement du cinéma français et européen ont été imposées aux plateformes étrangères de vidéo à la demande par le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), et le régime de la publicité a été largement assoupli, permettant aux services de télévision linéaire la diffusion temporaire de publicités faisant la promotion d'œuvres cinématographiques exploitées en salles.

Pourtant, en dépit de ces initiatives étatiques, le secteur cinématographique a inévitablement été reconfiguré.

L’imposition des SMAD face aux salles de cinéma, facteur de la reconfiguration du secteur cinématographique

Face à la fermeture des salles de cinéma, le législateur est intervenu en vue de faciliter l'accès immédiat du public aux nouvelles œuvres cinématographiques.

S’agissant de celles qui faisaient l'objet d'une exploitation en salles avant leur fermeture au 15 mars 2020, sur décision du président du CNC[2], il a été rendu possible de contourner « à titre exceptionnel » le délai d’exploitation prévu à l'article L. 231-1 du code du cinéma et de l'image animée, lequel dispose qu’un film peut faire l'objet d'une exploitation sous forme de VoD à l'acte ou de DVD/Blu-Ray « à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la date de sa sortie en salles de spectacles cinématographiques ».

Parallèlement, s’agissant des œuvres dont la sortie était prévue postérieurement à la fermeture des salles, le conseil d'administration du CNC avait mandaté son président à autoriser les distributeurs à les exploiter directement en VoD, et ce sans avoir à rembourser les aides conditionnées à une sortie en salles allouées par le CNC.

Ces autorisations ont de facto bouleversé la stratégie des distributeurs, lesquels ont rapidement favorisé l’exploitation des œuvres par l’intermédiaire des SMAD, à l’instar de Netflix et la sortie récente du film d’auteur Don’t Look Up ou de Disney+ qui a d’ores et déjà annoncé la sortie future du film d’animation Alerte Rouge sur la plateforme sans passer préalablement par les salles de cinéma.

Bénéficiant par ailleurs désormais d’un délai réduit à 12 mois pour la mise à disposition du public d’un film ou d’une série, les SMAD ont ainsi fortement tiré leur épingle du jeu dans l’épidémie pour s’imposer sérieusement face aux salles de cinéma et en devenir un concurrent redoutable.

Le succès des grosses productions au détriment des films d’auteur, conséquence de la reconfiguration du secteur cinématographique

La première exploitation des films en dehors des salles de cinéma a par ailleurs permis d’atténuer quelque peu le phénomène d’encombrement des écrans lors de la réouverture des salles et les tensions du marché cinématographique.

En raison du report de la sortie d'un grand nombre de films depuis le premier confinement et des périodes d’accès réduit ou de fermeture des salles, les distributeurs disposent en effet aujourd’hui d'un catalogue très important.

Et, comme souligné par le président du CNC à cet égard, « il serait préjudiciable à la fois pour le public et pour [les] créateurs qu'en raison d'un trop grand nombre de films disponibles, les grosses productions notamment américaines privent d'exposition les œuvres les plus diversifiées ».

C’est dans ce contexte marqué par le quadruplement du volume habituel de films à programmer que le Médiateur du cinéma a récemment alerté sur la nécessité que « les films les plus porteurs et ceux distribués par les sociétés ayant un poids économique plus important n’occupent toutes les séances », chaque film devant « pouvoir trouver sa place ».

Saisie d’une demande d’avis de la part du Médiateur du cinéma, l’Autorité de la concurrence s’est prononcée le 16 avril 2021 en faveur du projet des distributeurs de films visant à élaborer un calendrier concerté des sorties en salles. Bien qu’elle ne se soit pas vu soumettre de projet ou de modèle précis d’accord à cet égard, l’Autorité de la concurrence a effectivement estimé qu’une telle concertation pourrait se voir accorder le bénéfice de l’exemption individuelle.

Prévue au paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE[3] et à l’article L.420-4 I. 2° du code de commerce, cette exemption permettrait ainsi de faire exception au principe d’interdiction des accords et pratiques concertées entre entreprises qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre pays de l’Union européenne et qui ont pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

Néanmoins, en dépit de l’avis favorable de l’Autorité de la concurrence, l’accord entre distributeurs semble pour l’heure ne pas avoir abouti.

Or, la chute des entrées en salles de cinéma et des recettes afférentes, mêlée à l’encombrement des écrans et à l’absence d’accord entre les distributeurs, se répercute aujourd’hui tout particulièrement sur les films d’auteurs, lesquels peuvent moins compter sur l'effet d'attraction et les moyens promotionnels et financiers des blockbusters et franchises américains.

***

Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de vingt cinq ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller.  Pour en savoir plus, contactez-nous ici.

[1] Réponse du ministre de la culture du 01/12/2020 aux questions écrites n° 31959 du 01/09/2020 et n° 32474 du 29/09/2020

[2] Centre national de la cinématographie et de l'image animée

[3] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne