Par Amélie OZSEVGEC et Bastien EYRAUD
Et si la voie judiciaire était en train de paralyser le modèle économique du géant américain du véhicule de tourisme avec chauffeur à l’origine de la notion d’« uberisation » ?
Cette notion est souvent utilisée pour qualifier le nouveau modèle économique qu’Uber a initié, à savoir la mise en relation de professionnels et de clients via une technologie digitale en vue de leur fournir des services en temps réel.
Dès ses premiers temps à Paris, Uber a bouleversé le modèle économique des taxis grâce à une politique concurrentielle éprouvée : application sur smartphone pour réserver une course, possibilité de laisser un avis et de noter le chauffeur, estimation des horaires de prise en charge et d’arrivée, rapidité de la prise en charge, tracé de l’itinéraire, fixation à l’avance du prix de la course etc.
Uber se considère comme un intermédiaire de transport, mettant en relation des professionnels indépendants fournissant une prestation de transport avec des personnes souhaitant en bénéficier.
Toute son activité étant basée sur un schéma d’intermédiation, la plateforme n’a pas vocation à recruter des chauffeurs salariés.
Les chauffeurs Uber sont présentés comme des indépendants et non des salariés. Dès lors, exit les avantages du régime salarial (congés payés, assurance chômage, comité d’entreprise, encadrement du licenciement…).
Toutefois, considérant ne pas bénéficier pleinement du statut d’indépendant dans les faits, certains chauffeurs Uber ont décidé d’attaquer la société en demandant la requalification de leur statut en celui de salarié.
Et pour cause, dans ce modèle, la frontière entre le chauffeur indépendant et le salarié est ténue. En effet, on distingue un salarié d’un indépendant par l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et son salarié.
La notion de lien de subordination est définie par la jurisprudence comme « le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié ». L’existence du lien de subordination est appréciée par les juges grâce à un faisceau d’indices.
Cette situation n’est pas sans rappeler l’affaire Take Eat Easy, dans laquelle le 28 novembre 2018 la Cour de cassation a, en l’occurrence, validé la demande de requalification d’un livreur autoentrepreneur en salarié.
Dans sa décision du 10 janvier 2019, la Cour d’appel s’aligne sur la jurisprudence Take Eat Easy.
Elle considère qu’en réalité, le chauffeur Uber se trouve dans un lien de subordination vis-à-vis de la plateforme et qu’à ce titre il devrait être regardé comme un salarié et non comme un indépendant.
Dans un premier temps, la Cour d’appel rappelle que l’activité de chauffeur indépendant requiert le libre choix de créer son activité ou non, la maitrise de l’organisation de ses tâches ainsi que la possibilité de se créer une clientèle propre et de choisir ses fournisseurs.
Or, en l’espèce la Cour d’appel constate que :
Au vu de ces constatations, la Cour d’appel estime que le chauffeur Uber est « loin de décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs ».
Uber a décidé de se pourvoir en cassation pour contester cette décision. En effet, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris remet en cause son modèle économique et ouvre la porte à une requalification massive des chauffeurs de VTC en salariés.
En outre, Uber joue la carte de la transparence en publiant le 28 janvier 2019 sur son site, une enquête qu’elle a diligentée révélant que la principale raison pour laquelle les chauffeurs choisissent Uber est l’indépendance que leur offre cette activité[1].
Pour démentir l’idée d’une quelconque précarité affectant ses chauffeurs, Uber indique que ces derniers bénéficient d’une assurance de protection sociale gratuite, et communique leur revenu moyen et les principaux facteurs pouvant l’influer.
Cela sera-t-il suffisant pour son pourvoi ? Affaire à suivre…
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[1] https://www.uber.com/fr/newsroom/rouler-avec-uber-la-valeur-de-lindependance/