Par Gérard HAAS et Ambre BERNAT
Une ressortissante roumaine, avait porté plainte en décembre 2013 à l’encontre de son mari, se plaignant d’avoir été victime de violences domestiques. À la fin du mois de janvier 2014, le couple divorce et en mars de la même année, Mme Buturugă demande une perquisition électronique de l’ordinateur de la famille, alléguant que son ex-époux avait abusivement consulté ses comptes électroniques – dont le compte Facebook – et qu’il avait fait des copies de ses conversations privées, de ses documents et de ses photos.
En septembre 2014, Mme Buturugă dépose une nouvelle plainte pour violation du secret de sa correspondance mais l’affaire est classée sans suite. Retour sur l’avis de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui ne l’entend pas de cette oreille.
La requérante agit notamment sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (droit au respect de la vie privée, familiale et de la correspondance).
Dans un arrêt du 11 février 2020, la Cour observe que le code pénal roumain réprime expressément l’infraction de violation du secret de la correspondance dont Mme Buturugă s’est plainte durant la procédure pénale.
Elle fait ensuite référence à un rapport sur la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles rendu en 2015 par une commission spécialisée des Nations Unies. Ce rapport dresse un inventaire des formes que peut prendre la cyberviolence contre les femmes et identifie six catégories : l’intrusion (hacking), l’imitation (impersonation), la surveillance (tracking), le harcèlement/le spamming, le recrutement et la distribution malveillante.
Les dispositions de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (« la Convention d’Istanbul »), applicable en Roumanie depuis le 1 er septembre 2016, définissent en outre plusieurs types de violence domestique, dont la violence psychologique, le harcèlement, la violence physique ou sexuelle.
Enfin, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes a rendu en 2017 un rapport sur la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles qui définit notamment la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles comme suit :
« La cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles se présente sous différentes formes, entre autres: traque furtive en ligne, pornographie contre leur gré (ou « vengeance pornographique »), insultes et harcèlement fondés sur le genre, honte faite aux femmes et aux filles (slut shaming), pornographie non sollicitée, « sextorsion », menaces de viol et de mort, divulgation d’informations personnelles (doxing) et trafic facilité par des moyens électroniques. »
D’après ce rapport, la police pratique souvent une distinction erronée entre la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles commise en ligne et celle commise hors ligne, considérant les pratiques que subissent les victimes davantage comme des « incidents » que comme des comportements systématiques qui perdurent.
La plainte pénale de Mme Buturugă pour violation du secret de la correspondance n’a pas été examinée sur le fond par les autorités internes et sa demande de perquisition électronique de l’ordinateur de la famille a été rejetée au motif que les éléments susceptibles d’être recueillis de cette façon étaient sans rapport avec les infractions de menaces et de violences reprochées à l’ex-époux.
La CEDH estime que les autorités ont fait preuve d’un formalisme excessif, le nouveau code pénal roumain permettant la saisine d’office des autorités d’enquête dans le cas d’interception sans droit d’une conversation effectuée par tout moyen électronique de communication.
En outre, le tribunal de première instance a jugé que la plainte de Mme Buturugă relative à la violation alléguée du secret de la correspondance était sans rapport avec l’objet de l’affaire et les données publiées sur les réseaux sociaux étaient publiques.
Au contraire des autorités roumaines, la CEDH considère que les données interceptées n’étaient pas limitées aux données publiées sur les réseaux sociaux mais pouvaient également incorporer des éléments privés et que cela pouvait donc constituer une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La CEDH précise en particulier que « la cyberviolence est actuellement reconnue comme un aspect de la violence à l’encontre des femmes et des filles et peut se présenter sous diverses formes dont les violations informatiques de la vie privée, l’intrusion dans l’ordinateur de la victime et la prise, le partage et la manipulation des données et des images, y compris des données intimes. »
Dans le contexte de la violence domestique, la cybersurveillance est souvent le fait des partenaires intimes. Par conséquent, la Cour accepte l’argument de Mme Buturugă selon lequel des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint peuvent être pris en compte lorsque les autorités nationales enquêtent sur des faits de violence domestique.
Pour conclure, la Cour juge que les autorités ont ainsi fait preuve d’un formalisme excessif en écartant tout rapport avec les faits de violence conjugale que Mme Buturugă avait déjà portés à leur attention, et ont ainsi failli à prendre en considération les diverses formes que peut prendre la violence conjugale.
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