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Jeux hyper casual : le Tribunal de Paris rejette la contrefaçon de designs

Rédigé par Haas Avocats | Sep 30, 2024 6:30:00 AM

Par Haas Avocats

Un jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 27 juin 2024[1], illustre les enjeux autour de la protection par dessins et modèles dans le domaine du jeu vidéo, en particulier dans la catégorie des jeux « hyper casual »[2].

La Société V. reprochait à un concurrent d’avoir copié ses jeux et contrefait certains de ses dessins et modèles.

Cependant, le tribunal judiciaire de Paris n’a pas retenu la contrefaçon en raison des différences relevées. En effet, bien qu'une interface graphique puisse être protégée en tant que dessin ou modèle communautaire, la protection conférée ne s’étend pas si le jeu concurrent produit sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente, ce qui était le cas en l’espèce pour les premiers juges.

Retour sur les faits :  une société assigne un concurrent pour contrefaçon et parasitisme

La société V a mis en ligne en 2020 un jeu de stratégie, pour lequel elle dispose d’une licence exclusive mondiale. Un an après, elle a développé un autre jeu, pour lequel elle est titulaire de dessins et modèles communautaires.

Les sociétés S sont également spécialisées dans l'édition et la distribution de jeux vidéo grand public dans le secteur du jeu mobile « hyper casual ». Un jeu concurrent a ainsi été commercialisé en août 2021.

Estimant que le jeu de la société S constituer la copie servile de ses jeux et contrefait certains de ses dessins et modèles, la société V a assigné en contrefaçon de dessins et modèles communautaires et en concurrence déloyale pour parasitisme les sociétés S.

Contrefaçon : débats sur la validité des dessins et modèle

La société V reproche aux sociétés S d’avoir contrefait quatre de ses dessins et modèles communautaires. Selon elle, les caractéristiques revendiquées par les sociétés S ne sont pas banales et elle qualifie de mineures les différences mises en avant par les Sociétés S. Elle soutient que les bâtiments et personnages sont trop simples pour apprécier les détails, au point que les utilisateurs avertis de ces jeux puissent penser qu'il s'agit d'une déclinaison des modèles déposés.

En réponse, les sociétés S réfutent la qualification de contrefaçon de dessins et modèles en raison de la banalité des caractéristiques revendiquées par la société V et de l'impression visuelle d'ensemble différente produite sur l'utilisateur averti par les scènes de leur jeu. Elles affirment que les caractéristiques dont se prévaut la société V sont communes aux jeux "relier et conquérir" et que les similitudes relevées s'expliquent par l'utilisation de banques d'images par les créateurs. Elles rappellent enfin que le créateur jouit d'une liberté limitée compte-tenu de la taille de l'écran et de la simplicité intrinsèque de ces jeux et invoquent la saturation de l'art antérieur rendant l'utilisateur averti plus sensible aux différences, même mineures.

Rappel des règles de droit applicables en matière de protection des dessins

Un dessin ou modèle consiste en l'apparence d'un produit ou d'une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation.[3]

Dès lors, une interface graphique, obtenue par le biais d'un programme informatique, peut être protégée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle communautaire, dès lors qu'elle a une forme extérieure concrète. Pour rappel, le droit des dessins ou modèles vise à protéger l'apparence d'un produit, son aspect extérieur et non la conception de ses modalités d'utilisation ou de fonctionnement. Toutefois, le mouvement, comme au cas présent dans une interface graphique, est une caractéristique protégeable lorsqu'elle peut être représentée graphiquement.

La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle.[4]

L'utilisateur averti s'entend, en l'espèce, d'un utilisateur, dont l'attention est moyenne, qui joue de manière habituelle aux jeux vidéo de stratégie "hyper casual" et s'intéresse aux produits du secteur concerné qui lui sont familiers. Il est doté d'un certain degré de connaissance des tendances du marché, ce qui le rend assez sensible aux détails du produit.

Par ailleurs, la latitude de création du concepteur de ce type de jeu est limitée à la fois par les contraintes techniques du minimalisme, puisque ce type de jeu se joue sur un petit écran de téléphone portable ou de tablette, et par les modalités d'utilisation qui doivent être très simples pour satisfaire au modèle économique précédemment décrit.

Décision du tribunal judiciaire de Paris

Le tribunal judiciaire de Paris a débouté la société V de l'ensemble de ses demandes fondées sur une contrefaçon de dessins ou modèles communautaires. Il a jugé que les différences dans l'appréciation de l'apparence, des lignes et des contours n’étaient pas mineures et que l’impression visuelle globale perçue par l’utilisateur averti était différente entre les deux jeux.

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

 

[1] Tribunal judiciaire de Paris, 27 juin 2024, 22/01551 http://justice.pappers.fr/decision/f5b600bb02241dbbc9614cb0b74c0207fe7e699a?q=TJ+paris+27+juin+2024+22%2F015511

[2] Le marché des jeux « hyper casual » se caractérise par des jeux simples dans la prise en main et dont les parties n’excèdent pas quelques minutes.

[3] Définition issue de l'article 3 (a), du règlement (CE) Nº 6/2002 du conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires

[4] L'article 10 de ce même règlement, intitulé « Étendue de la protection »