Par Haas Avocats
Par un arrêt en date du 14 mai 2025 (Com. 14 mai 2025, n° 23-17.948), la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue redessiner les contours de l’obligation d’information précontractuelle prévue à l’article 1112-1 du Code civil.Derrière une affaire en apparence banale, un différend autour de l’exploitation d’un fast-food, se joue en réalité une inflexion importante de la jurisprudence, qui pourrait bien modifier la stratégie des professionnels dans leurs négociations contractuelles.
Impossibilité d’exploiter un local : le vendeur doit-il en informer l’acheteur ?
Les faits de l’espèce sont relativement simples. En 2018, un entrepreneur acquiert les parts sociales d’une société exploitant un restaurant. Or, peu après la cession, l’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble où se situe le local commercial refuse l’installation d’un conduit d’extraction des fumées. L’exploitation normale du restaurant, qui impliquait la cuisson de produits frits, devient ainsi matériellement impossible.
Le cessionnaire estime que cette impossibilité aurait dû lui être révélée avant la signature de la cession, et assigne en responsabilité les cédants pour manquement à leur devoir d’information précontractuelle.
Le raisonnement semble a priori s’inscrire dans le cadre classique de l’article 1112-1 du Code civil, selon lequel celle des parties qui connaît une information déterminante pour le consentement de l’autre doit la lui communiquer, dès lors que cette dernière l’ignore légitimement et qu’il est légitime pour elle de ne pas l’ignorer.
Devoir d’information : la Cour clarifie les conditions d’application
La solution retenue par la Cour de cassation mérite une attention particulière. Pour rejeter le pourvoi du cessionnaire, la chambre commerciale décide d’interpréter de manière cumulative les critères posés par le texte. Elle juge que l’information invoquée par le demandeur doit remplir deux conditions distinctes : avoir un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, et être déterminante pour le consentement de l’autre.
Ce faisant, la Cour de cassation introduit un double filtre probatoire. D’une part, l’information doit être objectivement liée au contrat, c’est-à-dire concerner ses éléments essentiels ou la qualité des cocontractants. D’autre part, il appartient au demandeur de démontrer que cette information, bien que déterminable par son objet, a eu un rôle effectif dans sa décision de contracter. La charge de la preuve repose donc intégralement sur la partie qui invoque le manquement.
En l’espèce, le demandeur n’est pas parvenu à prouver que la possibilité de faire de la friture était déterminante pour son engagement. Le fait que le local n’ait jamais été équipé d’un conduit d’extraction ne suffisait pas à établir l’existence d’une information déterminante au sens de l’article 1112-1 du Code civil. La Cour considère ainsi que, même si l’information aurait pu être communiquée, son absence ne justifie pas l’annulation du contrat ni la mise en jeu de la responsabilité du cédant.
Vers une lecture plus subjective de l’obligation d’information
Cette décision, sous son apparente technicité, consacre un tournant. Jusqu’à présent, la notion d’information « déterminante » était souvent interprétée comme se confondant avec son caractère « direct et nécessaire » au regard de l’objet du contrat. L’arrêt du 14 mai 2025 opère une dissociation nette : une information peut être objectivement liée au contrat sans être subjectivement déterminante pour le consentement.
Cette distinction renforce la sécurité juridique des conventions, en évitant qu’un défaut d’information, même avéré, puisse servir de fondement à une remise en cause automatique du contrat. Mais elle alourdit considérablement la charge de la preuve du contractant prétendument trompé. Il lui faut désormais rapporter la preuve d’une intention d’être lié exclusivement à la condition de cette information, ce qui suppose souvent une documentation minutieuse des discussions précontractuelles, ou l’existence d’écrits manifestant cette volonté.
Quel impact pour la pratique contractuelle ?
Cette évolution appelle une vigilance accrue de la part des professionnels.
D’une part, ces derniers devront s’assurer que leurs contrats ou tout autre document précontractuel (lettre d’intention, promesse, annexes, etc.) mentionnent leurs attentes essentielles, notamment en matière d’exploitation ou de contraintes techniques. D’autre part, les professionnels devront conserver systématiquement la trace de leurs négociations, échanges préparatoires et points soulevés lors de leurs discussions, en anticipant le risque contentieux.
Plus généralement, cette décision conforte un mouvement de fond vers la rationalisation du contentieux contractuel. Le juge cherche moins à sanctionner des asymétries d’information qu’à protéger la stabilité du lien contractuel, en réservant l’annulation ou l’indemnisation aux cas où le défaut d’information est objectivement grave et subjectivement décisif.
Dans un contexte économique où les montages contractuels sont de plus en plus complexes, cette exigence probatoire élevée invite les opérateurs à renforcer leur rigueur documentaire, et les juristes à jouer pleinement leur rôle d’anticipation des risques.
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